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tout l’influence des constitutionnels, le roi et ses amis s’unissaient momentanément aux jacobins et faisaient nommer Pétion maire de Paris. On eût été découragé plus facilement. Les braves gens, avec soixante-quinze directoires de département, avaient applaudi à la lettre menaçante de La Fayette, l’avaient soutenu lorsqu'il était accouru de son armée réclamer à la barre des mesures contre les démagogues. La bourgeoisie constitutionnelle, par une contradiction que les faits expliquent, perdait confiance dans les paroles du roi, et pourtant elle ne voulait pas son renversement. Elle croyait à l’utilité d’un avertissement donné au château, mais elle avait horreur d’un attentat sur la personne royale. Elle souffrait de la langueur du commerce, de la dégradation des rentes, de la dépréciation du papier-monnaie, maux attribués à la malveillance de la cour ; mais elle redoutait encore plus les atteintes violentes de la part des jacobins. Elle était inquiète et incertaine de ce qu'elle devait espérer ou craindre de Louis XVI, objet de ses préférences et qui n’y répondait pas.

C'est au milieu de ses angoisses patriotiques que jaillit de son sein ce faisceau de jeunes tribuns idéalistes et inspirés qui s’appelaient les Girondins.

Ils furent l’expression du dernier élan de la bourgeoisie du XVIIIe siècle ! Et encore elle ne les suivit pas tout entière. Dès les premières et entraînantes paroles de Vergniaud et de Gensonné, on pouvait en effet constater que le milieu politique solide et l’élite capable de prendre en main le progrès de la nation et de la mettre en possession de se gouverner elle-même, n’avaient pu s’établir depuis trois ans. Des institutions politiques inapplicables ou imparfaites avaient engendré l’impuissance. L’esprit démagogique, d’une part, et les invincibles préjugés des courtisans, de l’autre, avaient rebuté les caractères les plus résolus. L’arrivée des Marseillais, le manifeste du duc de Brunswick et le 10 août firent le reste.

La haute bourgeoisie avait échoué dans son premier essai d’organisation politique de la nouvelle société française. C’étaient les masses ignorantes, les clubs permanens, l’anarchie des sections, qui prenaient violemment le pouvoir. Tandis que les démagogues se préparaient à commettre tous les excès et tous les crimes, le sentiment de ce qu'il y avait de juste et de légitime dans la révolution civile accomplie prenait néanmoins possession du cœur de la bourgeoisie, et elle envoyait courageusement ses fils se battre aux frontières contre l’armée de Condé unie aux étrangers.


BARDOUX.