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nouveau chez un peuple n’est jamais un événement isolé, un fait insignifiant. Il annonce une modification complète dans la vie ordinaire. Une lettre d’un officier de la garde nationale de Clermont-Ferrand envoyé en mission, à Paris, en novembre 1791, mentionne l'étonnement que lui inspira la tenue des députés de l’assemblée législative. En moins de trois ans, le bourgeois parisien avait lui-même perdu le caractère qui lui était propre. Il était jadis attaché à son roi, à sa parenté, aux usages. Le cercle de ses relations s'étendait rarement loin de son voisinage. Le tumulte et les cris troublaient maintenant les rues calmes du Marais et cette île Saint-Louis, où l’on ne connaissait naguère de révolutions que celles causées dans le cours de la Seine par les hivers rigoureux.

Paris, jusqu'en 1789, avait été surtout une ville de plaisirs, d’agiotage et de commerce de détail. Il n’était pas, à proprement parler, un centre industriel, pas plus qu'un centre agricole. Les marchands et les gens de finances lui donnaient tout son cachet. Quel changement dès octobre 1791 ! Jusqu'alors les grandes familles bourgeoises avaient supporté gaîment les sacrifices de fortune. Mais le désordre commençait à pénétrer dans les habitudes de chaque jour. Les écoles, comme les études sérieuses, étaient négligées; une sorte de fièvre troublait le repos du corps et de l’esprit : « Quel espace franchi dans ces trois années, écrivait Barnave, et sans que nous puissions nous flatter d’être arrivés au terme ! » Les conditions du haut en bas de l’échelle sociale se déplaçaient. Toutes les âmes étaient ébranlées dans ce milieu jadis si attaché à la discipline, à l'ordre, au respect.

Pendant que la bourgeoisie parisienne attendait une solution du courage et du bon vouloir de ses chefs, elle voyait au-dessous d'elle les Jacobins s’organiser ; elle restait inerte. Et cependant elle était la plus nombreuse ; elle occupait encore partout les grands postes; les premières élections judiciaires lui avaient profité ; elle commandait les gardes nationales : à Paris, des bataillons entiers (comme celui des Filles-Saint-Thomas) étaient à elle et eussent versé leur sang pour résister à l’émeute. Elle avait vainement à l’assemblée nouvelle quelques hommes jeunes, résolus : les Ramond, les Hecquet, les Beugnot, les Dumolard, les Mathieu-Dumas. Ils s’étaient fait inscrire aux Feuillans ; mais, menacés par la foule, ils avaient fini par être expulsés de la salle ordinaire des séances. Leurs journalistes : Roucher, Suard, A. Chénier, Lacretelle, continuaient de combattre à la fois le jacobinisme et l’émigration à main armée.

Où était la cohésion qui seule fait un parti? La cour elle-même était hostile à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle. Elle subissait, mais n’acceptait pas la liberté. Craignant par-dessus