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les jurisconsultes furent guidés par leurs instincts. De l’organisation de la France telle qu'elle existait avant la révolution ils avaient peu à conserver. L’unité nationale reçut d’eux sa sanction définitive. La question d’attributions des corps qu'ils venaient de constituer ne les divisa pas. Leur esprit démocratique l’emporta sur l’esprit libéral. Le vice radical de leur plan fut de créer, avec les directoires de département et de district, des administrations collectives. L’idée d’un administrateur unique, contrôlé par un conseil élu, ne leur était pas venue. Leur fausse théorie qui plaçait le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif l’un en face de l’autre, comme deux ennemis, conduisait à faire nommer les directoires par les assemblées administratives, sans qu'ils pussent être révoqués, à moins de forfaiture. Les procureurs-syndics, bien que chargés uniquement de l’expédition des affaires courantes sans voix délibérative, échappaient ainsi à l’influence royale et dépendaient des conseils élus.

L'anarchie éclata bientôt à tous les yeux. Au lieu de revenir sur leurs pas, les plus habiles eux-mêmes, comme Target, Thouret, Chapelier, cherchèrent alors le remède dans la confusion de tous les pouvoirs. Ainsi, ils furent bien vite amenés à attribuer au pouvoir exécutif le droit de suspendre les corps administratifs et d’annuler leurs actes ; mais le recours fut toujours réservé devant le corps législatif. Que devenaient dès lors les conditions de la liberté réglée?

Les légistes furent mieux inspirés lorsque, après avoir renversé le vieux système judiciaire, ils donnèrent une organisation nouvelle à la magistrature. Après avoir adopté le jury au criminel et l’avoir sagement rejeté au civil, malgré Adrien Duport, ils établirent l’égalité devant la justice, comme devant la loi, en supprimant toute juridiction exceptionnelle ou privilégiée. Ils s’efforcèrent de réaliser ce beau rêve : avoir des magistrats indépendans par la conscience, mais dépendans de la nation par leurs fonctions, et ne devant leur place qu'au savoir et à la probité. Au lendemain de la suppression des parlemens, dont les agitations avaient laissé des traces dans leur mémoire, les légistes de la constituante craignirent la reconstitution d’une aristocratie parlementaire, s’ils laissaient au roi la nomination de la nouvelle magistrature. Au milieu des méfiances, les opinions intermédiaires s’effacèrent comme toujours. La présentation de trois candidats, parmi lesquels le chef du pouvoir exécutif choisirait, paraissait un système raisonnable. Il fut écarté. La question se posa, encore une fois, dans le domaine de l’absolu, entre l'idée monarchique et l’idée démocratique : celle-ci l’emporta. On remit au peuple seul le choix des juges ; le roi eut uniquement le droit de nommer les officiers chargés des fonctions du ministère public.