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avait mis au travers de la marche des idées. Ils excitaient de temps à autre des désirs de liberté légale, sans les satisfaire par aucune opposition sérieuse et continue. Cette opposition parlementaire servait d’aliment à l’esprit de discussion, mais elle n’était pas une école de gouvernement libre.

Les franchises municipales eussent été un meilleur apprentis- sage, mais elles n’avaient pu se relever des coups indirects que Louis XIV leur avait portés. Les municipalités dans les villes avaient dégénéré en coteries; et dans les paroisses rurales, elles n’existaient vraiment plus. Hormis en Bretagne, la vie particulière de chaque province, les originalités elles-mêmes, s’affaiblissaient. L’autorité des intendans et des subdélégués était toute-puissante ; et c'est une vérité banale aujourd'hui que la France, dès avant 1789, était déjà la nation où les procédés administratifs étaient les plus perfectionnés. Habituée à voir dans la royauté la source des réformes, la haute bourgeoisie, dans sa réaction légitime contre ce qui subsistait de la féodalité, ne comprenait qu'un pouvoir central fort et puissamment organisé ; et ce serait singulièrement se tromper que de croire que la révolution modifia sur ce point les idées reçues. L’état était déjà une sorte de Providence.

Au fond, l’esprit de nos aïeux ne diffère pas beaucoup du nôtre. Leur admiration raisonnée pour des maîtres qui se sont appelés Louis XI, Richelieu, Louis XIV, avait laissé dans leur intelligence politique des traces ineffaçables. Le spectacle d’un despote réalisant des réformes démocratiques avait été leur éducation historique ; de telle sorte que, dans la pratique, les traditions chez eux étaient serviles.

Au contraire, en théorie, jamais les idées n’avaient été plus avancées ! c’était dans les livres des philosophes, et uniquement par les livres, que l’éducation politique avait été préparée ! Et ces livres avaient enseigné l’absolu mépris du passé, le dédain des transactions avec les intérêts qui pouvaient être dignes de respect. A l'inexpérience s’adjoignait donc une audace inouïe dans la sphère de la spéculation philosophique, une confiance orgueilleuse et sans limites dans des maximes. Un mouvement tout idéaliste de justice et d’indépendance était associé à l’ignorance des faits et des réalités extérieures, à l’amour de l’uniformité sous la main de l’administration.

La haute bourgeoisie avait de plus les procédés révolutionnaires. Elle les tenait de ce qu'il y avait d’abstrait dans ses études théoriques de la politique. Elle s’était arrêtée à trois ou quatre livres bien connus, sans aller au-delà. Bien peu, comme Mounier, comme Malouet, se rendaient exactement compte de la nécessité de séparer le pouvoir exécutif du pouvoir législatif. Bien peu envisageaient