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dans les ministères. Comme Gandin, le futur duc de Gaëte, ils devaient leur succès aux principes d’honneur reçus de leurs parens et à une éducation soignée. Les commis des divers départemens ministériels conservaient les traditions. Ils avaient déjà, sur les affaires, une influence que rendait inévitable et nécessaire la mobilité de ministres souvent étrangers par leurs occupations antérieures à la branche d’administration qu'ils étaient appelés à régir. La vie des commis s’écoulait tout entière dans les bureaux, sans missions au dehors, sans congés, ignorée et droite comme le devoir. Ils s'alliaient entre eux et formaient une grande famille dont les directeurs étaient les chefs naturels. Ils apportaient dans leurs délicates fonctions les habitudes de respect, de discrétion, de réserve puisées au loyer domestique. Les affaires étrangères étaient entre les mains de ces honnêtes gens, les Gérard, les Lesseps, les Hennin. Ils bornaient leurs vœux à bien servir le pays. Très gallicans et même quelque peu entachés de jansénisme, comme les bourgeois des parlemens qui avaient à défendre les droits du roi contre la cour de Rome, ils n’avaient pas comme eux des prétentions à la noblesse et mettaient leur fierté à ne pas rechercher de titres.

C'était le barreau qui attirait surtout les jeunes talens. Le palais était à la mode. Jamais les querelles judiciaires ne firent autant de bruit que dans les vingt années qui précédèrent la révolution. Les avocats étaient à l’image du siècle, lui empruntant la passion, la générosité, l’audace ; et comme nous étions la nation qui avait fourni les premiers justiciers du monde, les avocats étaient les représentans attitrés du tiers état, les porte-parole des paysans, et ceux qui connaissaient le mieux, dans les villes et les campagnes, la classe infime, triste héritage des serfs affranchis, milieu redoutable où la misère recrutera, pour les jours de révolte sociale, la bande des septembriseurs et des tricoteuses. Dans toutes les villes parlementaires, dans tous les chefs-lieux de présidiaux, cette corporation entretenait, contre la vieille société féodale, les animosités et les rancunes, prête toujours à soutenir les revendications des communautés d’habitans quand le faisceau des intérêts collectifs pouvait opposer plus de résistance ; lisant avec passion les livres qui faisaient du bruit, semant partout et en toute occasion les idées nouvelles. L’ordre des avocats était arrivé, comme en 1830, au plus haut point de sa grandeur, de sa puissance et de son influence.

Des trois éducations que recevait successivement la jeune bourgeoisie : l’éducation de la famille, l’éducation du collège et celle du monde, la dernière prenait, vers 1780, une importance de plus en plus décisive. Personne n’en avait plus profité, ne s’était plus dégagé de sa raideur doctorale, que la corporation des médecins. L'influence qu'ils exercèrent en ce temps-là dans la haute société,