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même aller à acquérir des droits féodaux. Près de quatre mille charges, dans la magistrature et dans la finance, entraînaient avec elles l’anoblissement.

L'intervalle entre la noblesse et les rangs supérieurs du tiers état était encore diminué, à Paris, par ce frottement quotidien qui adoucissait les angles trop saillans et par une facilité de mœurs qui ne tenait pas seulement à l’esprit, mais aussi aux services rendus. Cette partie, restreinte d’ailleurs de la bourgeoisie, appartenant aux parlemens et à la finance, excitait l’envie en s’anoblissant. Il en était une autre plus nombreuse, plus puissante, non moins prospère, qui résistait à la tentation des titres. C’était celle qui encombrait les carrières libérales et le haut négoce : les avocats, les notaires, les procureurs, les médecins, les artistes, les écrivains, les armateurs de nos grands ports, les négocians de nos villes manufacturières. Ceux-là remuans, actifs, séparés de la noblesse, ne la rencontraient que pour être froissés par elle, et pour constater, surtout en province, son infériorité intellectuelle, sa morgue non justifiée et sa fortune obérée.

Quelle éducation ces bourgeois avaient-ils reçue? L’ancien bourgeois de Paris, celui qui était né avec la régence, avait façonné son caractère sous une étroite discipline. Sa vie était simple, fort occupée, mais elle était égayée par une verve que provoquait sans cesse le goût de l’observation. Nul ne saisissait d’un regard plus sûr les ridicules et les faiblesses que ce bourgeois né au cœur de la Cité ou de l’île Saint-Louis, à la fois hardi et timide, gardant sa liberté d’allures vis-à-vis du clergé et ayant reçu la forte empreinte du jansénisme. Antérieurement à l’action toute littéraire des philosophes, l’esprit janséniste avait, en effet, envahi la plupart de ces anciennes familles, leur avait apporté, avec l’austérité, le goût de l’indépendance. Les parlemens, jusqu'en 1780, n’avaient encore rien perdu de leur autorité et ils répondaient aux humeurs d’opposition. C'était dans le vieux monde bourgeois une émotion presque révolutionnaire les jours où, sur une question d’impôt ou bien de théologie, les légistes faisaient échec aux emportemens ultramontains et à l’arbitraire ministériel. Avec quel respect on parlait de la grand’ chambre! Sur quel piédestal étaient placés messieurs les gens du roi ! Comme les traditions se conservaient de l’Hôpital et de Mathieu Molé! Quel retentissement avaient eu les harangues de Daguesseau et les plaidoyers de Gerbier!

À cette génération, qui n’était ni sceptique, ni épicurienne et qui avait eu pour maître Rollin, avait succédé une autre plus impatiente, imprégnée d’un esprit nouveau et dégagée de toute dévotion. Les collèges où elle fut élevée n’étaient plus les mêmes. Les jésuites, professeurs de la jeunesse bourgeoise, pendant deux siècles,