Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les régimens tchèques et, s’il le fallait, de proclamer la république en Hongrie? Qui veut la fin veut les moyens. Nous pactiserions avec la révolution partout où il le faudrait, en France aussi bien qu'en Italie, et Garibaldi saurait bien arrêter Rattazzi si, comme on se l’imagine à Paris, le gouvernement italien, contrairement aux assurances qu'il nous a données, devait réunir un corps d’armée sur les frontières de la Bavière ou relayer les garnisons françaises en Algérie.

« Quant à l’armée prussienne, elle fera, comme toujours, bravement son devoir, et les contingens du Midi combattront vaillamment à ses côtés, alors même que certains gouvernemens seraient disposés à trahir la cause allemande. La partie sera rude, nous n’en disconvenons pas. Nos généraux connaissent les brillantes qualités de l’armée française, mais ils connaissent aussi ses défectuosités. Le soin constant des états-majors prussiens a été de les étudier et de les signaler aux troupes ; ils sauront, sur les champs de bataille, les faire tourner à notre avantage.

« Cela n’empêche, aurait dit le comte de Bernstorff à la personne qui m’a répété ses paroles, que la Prusse, malgré sa confiance absolue dans l’invincibilité de son armée, fera à la paix du monde tous les sacrifices qui ne seraient pas incompatibles avec son honneur et sa dignité. »

Ces réflexions, émises avec abandon dans des conversations familières, reflétaient fidèlement les idées dont s’inspirait la cour de Prusse. Elles montraient que sa diplomatie avait une notion claire, précise de la situation, que ses calculs reposaient sur des données certaines, qu'elle avait le sentiment de sa force et la connaissance de notre faiblesse, et que, soutenue par les passions nationales, elle marchait résolument, pas à pas, vers le but qu'elle s'était tracé. Elle ne désirait pas la guerre assurément, mais elle ne faisait aucune concession pour l’éviter. Le roi et son ministre étaient insensibles aux inquiétudes que des crises, sans cesse renouvelées, provoquaient en Europe, à la perturbation qu'elles jetaient dans les affaires, et qui ne pouvaient qu'ajouter aux difficultés dans lesquelles se débattait l’empire, décrié, harcelé par l’opposition vindicative des partis.

« Ce n’est pas la forme de vos observations, disait le ministre d'Angleterre à M. Lefèvre de Béhaine, qui a froissé le comte de Bismarck, mais le fait d’une intervention qui aurait pu rehausser le prestige de votre souverain, servir d’encouragement aux mécontens d'Allemagne et aux résistances qui s’opposent en Europe à la réalisation de ses desseins. » Peut-être aussi le gouvernement prussien n'avait-il provoqué l’incident que pour rejeter au second plan la