antiprussien part d’en haut, au lieu de se manifester, comme en Wurtemberg, dans les classes inférieures, mêlé à l’élément républicain.
« La cour de Darmstadt accepte dans la forme, avec les apparences de la résignation, le sort que les événemens lui ont imposé ; mais, dans ses épanchemens intimes, le grand-duc se plaindrait amèrement des blessures faites à sa dignité et des atteintes portées à ses prérogatives ; il ne se ferait d’ailleurs aucune illusion sur les épreuves qui l’attendent encore et dont les gazettes prussiennes le menacent journellement. Son premier ministre, plus exubérant, ne cache pas ses ressentimens et ne craint pas d’invoquer « les pantalons rouges ; » il prétend qu’ils ne sauraient tarder longtemps.
« Quant à la cour de Bade, elle est entièrement inféodée à la politique prussienne ; s’il ne dépendait que du grand-duc, il sacrifierait sa couronne sans hésitation et sans scrupules à l’ambition de son beau-père. On peut être certain qu’en toute circonstance il jouera le jeu du cabinet de Berlin et qu’il ne négligera aucun effort pour rendre illusoires les stipulations du traité de Prague.
« En résumé, si, dans le nord de l’Allemagne, on procède énergiquement, et sans perdre une seconde, à l’assimilation politique et surtout militaire des nouvelles provinces, dans le Midi, au contraire, on vit au jour le jour, sans boussole, sans initiative, embarrassé d’une indépendance à laquelle on n’est pas habitué et dont on ne sait pas tirer parti. Il importerait de trouver une formule qui permettrait de se grouper et d’agir en commun contre les empiètemens de la Prusse, mais c’est à qui ne subordonnera pas ses intérêts à ceux de son voisin. »
Les plaintes et les récriminations qui se manifestaient des deux côtés du Main n’avaient pas le don d’impressionner le comte de Bismarck. Il ne s’attendrissait sur le sort de personne, il ne sacrifiait qu’à la raison d’état ; il avait foi en son œuvre et il était convaincu que, le jour où elle serait glorieusement accomplie, ceux qui, aujourd’hui, le vouaient aux gémonies, seraient les premiers à lui élever des statues. Il estimait que les regrets affichés bruyamment pour les dynasties dépossédées n’étaient pas bien profonds, car ils juraient, disait-il, avec l’indifférence que, la veille encore, les populations manifestaient à leurs princes. Il était convaincu que les annexés finiraient, tôt ou tard, par reconnaître l’avantage de faire partie d’un grand état de même nationalité, et, qu’après une transition trop brusque pour n’être pas douloureuse, ils s’habitueraient peu à peu au nouvel état de choses en voyant leurs intérêts locaux et leurs habitudes plus ou moins ménagés.
Les idées du roi Guillaume n’étaient pas aussi rigides : il était humain, compatissant ; son patriotisme n’était ni étroit, ni tyrannique ;