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me fait est-elle exacte de tout point ? En tout cas, un maître absolu devant qui tout le monde tremble, à qui nul n’ose dire la vérité et qui, par conséquent, ne sait rien d’une façon précise, doit être si peu propre à conduire une barque assaillie de toutes parts, sur une mer inconnue, qu’il n’a point tort de se mouvoir le moins possible et de répéter avec les lymphatiques : Quieta non movere.

Autre fléau, le morbus monetarius. La monnaie est rare et le système monétaire est dans un état de confusion pire qu’au moyen âge. On a supprimé à la fois les billets de banque, les caimés, et le billon de cuivre, l’instrument des grands et des menus paiemens. De livres turques en or de 22 fr. 50, on n’en voit guère ; ce qui vous passe par les mains, outre quelques medjidiés de 20 piastres, ce sont de grands et sales disques en métal blanc, des altiliks, des bechliks, et des piastres, dont la valeur relativement à la livre varie sans cesse. Aussi voit-on, dans chaque rue, des nuées de changeurs, auxquels chacun, et les gens du peuple surtout, doivent payer tribut pour régler les petits achats. Le remède à ce mal intolérable a été indiqué par un économiste spécialement compétent, M. Ottomar Haupt. Il consiste à faire un billon de nickel et de bronze, comme en Suisse ou en Belgique. Qui s’en occupe ? Nitchewo : Qu’importe ! Jarin ! À demain !

Mais voici qui est plus grave encore. La Turquie se meurt d’anémie, parce que ses créanciers la saignent à blanc aux quatre membres. Le revenu total est estimé, pour 1883, à 15 millions de livres turques, dont beaucoup de rentrées ne se font pas, et la dette prélève plus de 5 millions. Le conseil d’administration de la dette extérieure a mis la main sur les recettes du tabac, du sel, des spiritueux, du timbre, des pêcheries, des soies et sur le tribut de la Roumélie et de Chypre. d’autres emprunts emportent le tribut de l’Egypte. Chaque année, pour se procurer un peu d’argent comptant, la Porte abandonne une source de revenu. Hier encore, afin d’obtenir 800,000 livres destinées à entretenir les troupes qu’elle réunit en ce moment, elle a donné en gage à la Banque ottomane les recettes du chemin de fer Smyrne-Cassaba. Ce n’est plus là le gouvernement d’un état, c’est la liquidation permanente d’une faillite. Autrefois, les besoins étant moindres, les rentrées étaient irrégulières, et la perception assez indulgente. Maintenant les exigences impitoyables d’une comptabilité rigoureuse à l’européenne mettent en mouvement là dure et informe machine du fisc musulman qui écrase le contribuable. La Porte se trouve dans une situation intenable. Elle n’a pas, il s’en faut, un revenu net de 200 millions de francs, et elle doit soutenir le rang d’une grande puissance, entretenir une forte armée, une flotte de cuirassés, une légion de grands fonctionnaires, un souverain qui coûte au moins 20 millions