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et dans sa majesté. Pourquoi les architectes n’ont-ils pas plutôt copié ce chef-d’œuvre de l’architecture ancienne ? Seulement il menace de s’écrouler : les contreforts sont ébranlés ; des crevasses se forment ; les mosaïques tombent en débris, que l’on vend aux touristes. Quelle désolation ! Les monumens de l’Egypte et de la Grèce peuvent durer, même abandonnés par les hommes, parce que les matériaux ont une assiette rationnelle et immuable. Ceux de la décadence romaine, comme les cathédrales du moyen âge, sont des défis à l’équilibre ; ils exigent des soins constans pour les défendre contre les élémens et contre l’action des lois de la pesanteur. Si la foi continue à s’attiédir et les revenus des mosquées à s’amoindrir, elles s’écrouleront, au milieu de la misère et de l’indifférence générales. Qui donc, en Orient, a le respect des anciens monumens ?

Contre les parois extérieures de Sainte-Sophie et des autres édifices du culte, sont disposées des auges en marbre blanc avec une longue file de robinets en bronze pour les ablutions : l’eau n’y vient plus ; les aqueducs sont rompus, les conduites coupées, et personne ne songe à les réparer. Le seul aqueduc qui donne maintenant de l’eau est celui de Constantin. Tout autour de Sainte-Sophie et de l’Atmeidan, la place publique renommée entre toutes, l’ancien hippodrome, où s’élèvent encore l’obélisque de Théodose et l’antique colonne Serpentine, qui provient du temple de Delphes, — c’est-à-dire en plein centre de Stamboul, — on voit de nombreux endroits couverts des débris de maisons écroulées, que nul ne fait rebâtir. Cependant, la situation est excellente et le terrain devrait être très recherché. Non loin de là se trouve la citerne des Mille colonnes, le Bin-bir-berek. Elle est bien plus grande que la piscina mirabilis de Misène. Colossale, soutenue par des centaines de colonnes antiques, elle suffisait pour donner de l’eau à l’immense population de Byzance. On y pénètre par les pierres amoncelées d’une voûte écroulée, et quelque pauvres femmes y dévident de la soie, il y a encore la citerne Basileia, en turc Yêrè-batan-serai, c’est-à-dire « le palais sous terre. » Les empereurs grecs en avaient fait construire plus de vingt dans les différens quartiers. Toutes sont à sec ou même remplies de terre, et la ville manque d’eau pour boire, pour les rites religieux et pour éteindre les incendies. Autour des mosquées se groupent ces jolies constructions à coupoles, les médressés, où vivent les étudians en théologie, qui apprennent à enseigner le Coran. Les ais des fenêtres sont pourris, les carreaux de vitre manquent, le plomb des petites coupoles a des éraflures ou a été volé ; le vent et l’eau entrent de toutes parts, beaucoup sont devenus inhabitables.

Je visite les nouveaux palais construits des deux côtés du Bosphore :