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et il s’arrête la nuit à Andrinople. Cela rappelle les voyages en vetturino dans l’Italie d’autrefois. Excellente façon de bien voir le pays pour qui n’est pas pressé, et personne ne l’est en Orient. Au moment du départ, je vois placer avec les plus grands soins et même avec respect, dans une caisse de la berline spéciale que l’administration avait mise à ma disposition, deux petites caisses mystérieuses. Leur propriétaire ne les quitte pas de l’œil, et il reste seul dans son compartiment pendant tout son trajet. Est-ce de l’or ? Il est rare en ce pays-ci ; non, mieux que cela : c’est de l’essence de rose, et il y en a, me dit-on, pour 12,000 livres turques, environ 265,000 francs. Cela vient de « la vallée des roses, » de Kezanlik. C’est une culture qui demande beaucoup de travail et de soin. Les rosiers ne viennent bien que sur le penchant des collines où règne un air vif : il faut les biner et leur donner un labour deux ou trois fois par an, et la plante ne produit qu’au bout de cinq ou dix ans. La récolte commence en juin et dure de vingt-cinq à quarante jours. Pour obtenir un mouskale (4 grammes 81), il faut au moins 8 kilogrammes de fleurs, et jusqu’à 15, si le printemps a été très sec. L’essence vaut de 5 à 8 francs le mouskale, ou de 1,040 à 1,664 francs le kilogramme. Je vois à la droite de la ligne, sur les premiers relèvemens de la chaîne du Rhodope qui dessine le bassin de la Maritza vers l’ouest, des champs de roses nouvellement plantés. Depuis que les Turcs sont partis, le cultivateur bulgare, qui peut jouir maintenant des fruits de son travail, introduit partout les riches produits qui jusqu’ici restaient confinés dans les vallées des Balkans. Sur les parties basses qui longent la rivière, je remarque des champs carrés, couverts d’herbe et entourés de petites digues ; ce sont d’anciennes rizières converties en prairies, depuis qu’on a interdit la culture du riz, qui engendrait la fièvre paludéenne. Excellente mesure.

Station de Katanitza : Au milieu du village, composé de chaumières très pauvres, faites en pisé et couvertes de chaume, s’élève un grand bâtiment tout neuf et éblouissant de blancheur. C’est l’école primaire, construite avec les deniers de la commune. Une école d’agriculture a été aussi établie dans ce village, aux frais du gouvernement. Dès la première année, elle comptait soixante-dix élèves, tant le désir de s’instruire est général.

La vallée de la Maritza, que nous descendons, est très bien cultivée. Le seigle est magnifique ainsi que les haricots, qui fournissent la nourriture pour les nombreux jours « maigres. » La seradelle pour fourrage se voit souvent, mais peu de trèfle et de pommes de terre ; celles-ci donneraient cependant du profit, car elles viennent bien et se vendent 0 fr. 10 le kilogramme. Les vignes basses sont chargées de grappes.