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à la censure la plus sévère. L’unique collège bulgare de Salonique est soumis à des visites fréquentes, et la possession d’un livre suspect est punie avec la dernière rigueur. L’an dernier, un élève et son père ont été envoyés en exil, en Arabie, parce qu’il avait dans son pupitre l’image d’un cavalier russe. Mais les efforts que fait le clergé phanariote, soutenu par l’argent des Grecs d’Athènes et de Constantinople, pour helléniser les Bulgares et la Macédoine, ne peuvent plus aboutir. Il est trop tard : le sentiment national s’est éveillé en ces malheureux si longtemps courbés sous un double joug ; ils voient leurs frères de la Bulgarie et de la Roumélie s’affranchir, et ils aspirent à devenir libres à leur tour. Sans doute, il est dur pour les Hellènes, qui, depuis des siècles, représentaient tout ce qu’il y avait dans ce pays de culture intellectuelle et religieuse, de devoir s’incliner devant les vœux de masses ignorantes et méprisées ; mais qu’ils considèrent ailleurs le réveil de la nationalité : ils verront que le mouvement est désormais irrésistible. Les Allemands en Bohême, les Hongrois en Croatie, les Suédois en Finlande prétendent aussi qu’ils sont les organes de la civilisation, et pourtant ils ont dû reconnaître les droits trop longtemps méconnus des populations. Chose plus extraordinaire, les Koutzo-Valaques ou Tzintzares, qui jadis se laissaient helléniser sans résistance, commencent à se ressouvenir avec orgueil de leur origine latine et à se mettre en relation avec la Roumanie, d’où ils reçoivent des livres et des journaux. Puisque ces flots de colons romains se sont conservés indestructibles au milieu des Albanais, des Bulgares et des Grecs qui les enserrent de toute part, il faudra bien un jour reconnaître aussi leur nationalité et leur donner une place dans la future fédération balkanique.

À cette situation affreuse de la Macédoine, que l’Europe ne tolérerait pas un moment, si elle la connaissait bien, il faut un remède ; mais lequel ? Il a été indiqué dans la note du 13 février 1876, rédigée par lord Derby au nom du cabinet tory, et par les propositions de réforme pour les provinces turques que faisait la Russie à la même époque. Il se résume dans cette phrase de la note anglaise : « Un système d’autonomie administrative locale, c’est-à-dire un système d’institutions locales donnant aux populations le droit de régler leurs affaires locales et des garanties contre l’arbitraire de l’autorité. » C’est cet ordre d’idées qui a présidé à la rédaction de l’article 23 du traité de Berlin, qui promet aux provinces de la Turquie d’Europe un régime autonome semblable à celui qui est en vigueur en Crète. Seulement il conviendrait de prendre pour modèle l’organisation, non de la Crète, qui provoque sans cesse des réclamations ou des révoltes, mais celle du Liban, qui marche à la satisfaction générale, depuis qu’elle y a été introduite sous les auspices de la France. Chaque village, chaque canton administre ses propres affaires par le moyen