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parce que différentes races y vivent entremêlées ; c’est surtout à cause des revendications des populations voisines. Les Bulgares réclament la Macédoine parce qu’elle leur a donné leur culte, leur langue et leur littérature. C’est là que leurs grands apôtres Méthode et Cyrille ont traduit les évangiles en paléoslave. C’est aux abords du Rhodope qu’on parle le bulgare le plus pur et que se conserve le trésor de leurs anciens chants populaires ; enfin, un traité récent avait reconnu leurs droits. d’autre part, les Grecs sont prêts à tout sacrifier plutôt que de renoncer à la Macédoine, où ils sont, croient-ils, les plus nombreux et où, en tout cas, ils forment l’élément le plus civilisé. Cette province leur est indispensable pour réaliser « la grande idée, » c’est-à-dire pour reconstituer la Grèce byzantine. Les Serbes, à leur tour, veulent annexer tout le nord de la province, parce que leurs frères y habitent et parce que c’est le centre révéré de l’empire de Douchan, et ils désirent y ajouter le sud, parce que c’est par là qu’ils déboucheront sur la Méditerranée. Enfin, il y a l’Autriche, qui, dit-on, espère bien un jour arriver à Salonique et qui, en tout cas, n’entend pas que le débouché futur de la Bosnie tombe aux mains d’un client de la Russie.

La première question à élucider est celle de savoir quel est le nombre d’habitans appartenant à chacune des races qui se disputent la Macédoine, puisque c’est sur ces données ethniques que s’appuient les revendications en lutte. Malgré la carte ethnographique de Kiepert, les diplomates à Berlin ne sont point parvenus à se mettre d’accord sur ce sujet, où il est bien difficile, en effet, d’obtenir des chiffres précis et indiscutables. Les Grecs sont persuadés qu’ils forment la majorité de la population. Il y a quelques années, un savant professeur d’Athènes, correspondant de l’Institut, M. Saripolos, donnait comme certains les chiffres suivans : 500,000 Grecs, 120,000 Slaves, 100,000 Turcs et 40,000 Juifs. Récemment, des notables. de Salonique envoyaient une adresse au patriarche et à la Porte au nom des 800,000 Grecs habitant la province ! Le gouvernement rouméliote a publié, en 1881, d’après les relevés turcs[1], une statistique détaillée, commune par commune, d’où il résulte qu’il y aurait, en Macédoine, sur une population totale de 1,863,382 habitans, 1,251,380 Slaves et Valaques, 463,839 musulmans, dont un certain nombre Slaves (Pomaks) et seulement 57,480 Grecs. Un haut fonctionnaire de Philippopoli a publié récemment, sous le pseudonyme de

  1. La Turquie n’a pas de statistique de sa population, mais pour le recrutement, elle porte, d’une part, les musulmans astreints au service militaire, Noufouz, et d’autre part, les chrétiens qui en sont exemptés et qui sont inscrits sur la liste de ceux qui, à ce titre, paient un impôt spécial, Bedeli-Askerié. Comme la statistique rouméliote donne pour chaque village le nombre des maisons et des habitans de chaque nationalité, le contrôle serait facile.