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Roumélie. Quelle différence avec les provinces turques, où le brigandage sévit jusqu’aux portes de Constantinople et de Salonique ! En Espagne, c’est aussi à un corps admirable de discipline et de dévoûment, la guardia civil, que l’on doit la suppression des brigands.

— Les Rouméliotes ont au plus haut degré le désir de s’instruire. Les magistrats, les hommes d’état, les députés que je rencontre parlent très bien, outre les langues orientales, le français, l’anglais et souvent l’allemand. La fille de mon hôte a le pur accent parisien quoiqu’elle n’ait jamais été en France, et elle s’exprime avec une égale facilité en bulgare, en russe, en grec, en turc et en anglais. Un grand nombre des hommes qui sont à la tête des affaires dans les deux Bulgaries ont reçu leur instruction au Robert-College, institution admirable que les Américains ont fondée, aux environs de Constantinople, sur les hauteurs de Rouméli-Hissar. On y reçoit une instruction moyenne et supérieure complète, avec l’anglais comme langue de l’enseignement. Sous la direction d’un homme éminent, M. George Washburne, et de maîtres distingués : MM. Long, Grosvenor, Millingen, Panaretof, il s’y forme des jeunes gens capables de remplir les hautes fonctions administratives. Ils sont élevés dans un milieu moral où, chose rare dans l’Orient moderne, des sentimens de délicatesse et de probité s’imprègnent dans les âmes. L’air vif qui souffle de la Mer-Noire fortifie le corps, et le magnifique panorama du Bosphore développe l’instinct esthétique. La part d’influence du Robert-College dans la régénération de la péninsule est considérable. Je ne connais pas d’exemple plus concluant du service qu’un bon enseignement supérieur rend au progrès de la civilisation.

— Il est difficile d’estimer exactement la production agricole de la Roumélie. La statistique officielle ne contient de chiffres que pour quelques denrées spéciales. En 1883, les cocons ont donné une valeur de 1,451,952 piastres ; le vin 290,367 hectolitres ; le raki (eau-de-vie) 2,275,593 litres et le tabac 472,137 kilogrammes ou 63 kilogrammes par deunum de 16 ares. Eu égard à la fertilité de la province, ces totaux paraissent peu élevés ; ils auront été réduits à cause de la crainte traditionnelle du fisc, qui, sous le régime turc, mettait le travail intelligent à l’amende. Le commerce extérieur constaté par la douane n’est pas non plus très considérable ; il est vrai qu’il n’existe de ligne douanière que sur une partie de la frontière, et ainsi les chiffres relevés ne représentent pas le montant exact des échanges avec la Turquie ou l’étranger. Ce qui est très satisfaisant, c’est le développement extraordinairement rapide du commerce. Les importations se sont élevées en 1882 à 34,386,178 piastres et en 1883 à 54,749,868 piastres, soit en plus 20,363,690 piastres ; les exportations en 1882 à 40,549,707 piastres,