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passage récent, à Philippopoli, de M. Forster, ancien ministre de l’instruction publique en Angleterre, l’un des chefs des modérés, M. Kaltchof, lui fit connaître que la reconstitution de la patrie bulgare, morcelée à Berlin, est le but à poursuivre par tous. Seulement, les libéraux pensent qu’il faut une grande prudence dans l’action ; les « unionistes, » au contraire, croient qu’il faut sans cesse et à toute occasion exprimer la volonté nationale, la proclamer très haut, et devant l’Europe et devant le pays, et même entretenir une certaine agitation dans ce sens. C’est ce parti qui a organisé, l’été dernier (1884), ce pétitionnement universel en faveur de l’union, qui avait entraîné le pays tout entier. Ils attendent la réalisation de leurs espérances de la chute inévitable de l’empire ottoman et des complications générales en Europe plutôt que d’une insurrection locale contre la Turquie. À en juger par le nombre des journaux des deux nuances, c’est le parti national qui jouit de la plus grande influence. Il a trois organes : la Marilza, le Narodni Glass (Voix du peuple), et le Soédinenié (l’Union). Le parti libéral modéré n’en a qu’un, le Jouzna Bulgaria (la Bulgarie du sud). Tous les quatre paraissent dans la capitale.

Il n’y a pas lieu de s’étonner que la question de la réunion des deux moitiés de la Bulgarie, violemment séparées par le traité de Berlin, préoccupe et passionne ici tous les esprits. Depuis leur arrivée dans la péninsule, au vue siècle, les Bulgares ont toujours formé une unité ethnique, une nation, tant à l’époque de leur grandeur, sous le tsar Siméon et ses successeurs, que sous la domination ottomane. La diplomatie européenne a découpé cette nationalité vivante en trois tronçons, dont l’un forme une principauté presque indépendante, la Bulgarie ; l’autre, un état à moitié affranchi, la Roumélie ; et le troisième, une province complètement asservie sous le joug turc, la Macédoine. Comment les Bulgares se résigneraient-ils à un règlement qui blesse si cruellement leurs souvenirs historiques et leurs intérêts matériels, surtout après que San-Stefano a réalisé pour eux, un moment, un idéal désormais inoubliable ? On a beau leur parler du respect des traités ; ils répondent : Ces traités ont été faits contre nous, et jamais nous ne les avons ni signés, ni acceptés. La Bulgarie méridionale complétait la Bulgarie septentrionale, moins riche, moins pourvue d’hommes capables. Les relations commerciales étaient actives. Le midi envoyait au nord les produits d’une zone plus chaude. La barrière de douanes tracée arbitrairement par les diplomates est venue entraver ce commerce, qui s’appuyait sur la communauté de race et d’origine. On a créé deux moitiés de peuple qui, isolées, ne peuvent se suffire, et qui sont accablées par les charges d’un double gouvernement. Mais on peut tout espérer de l’avenir. Une combinaison