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gare, pour nous conduire dans sa magnifique demeure, où il nous offre la plus cordiale hospitalité.

Né à Kopriuchtitza, en Roumélie orientale, M. Tchomakof a fait ses études à Pise et à Paris ; plus tard il s’établit à Philippopoli et y exerça la médecine, jusqu’à l’époque où éclata la lutte ecclésiastique des Bulgares contre le clergé grec. Envoyé en 1862 à Constantinople comme représentant des Bulgares, il fut l’âme du mouvement national en faveur d’une église indépendante. Après l’élection du premier exarque, en 1872, il fut nommé membre du conseil mixte de l’exarchat, et resta à Constantinople jusqu’à la conclusion du traité de Berlin. Il est président du conseil sanitaire et membre de l’assemblée législative. Il est un des hommes les plus considérés du pays. il parle également bien le turc, le grec, le bulgare, le français et l’italien. De la gare à la ville un large boulevard a été ouvert. Il s’y élève de belles constructions : des villas au milieu de jardins remplis de fleurs, de grandes maisons où habitent les consuls des puissances étrangères. L’intérieur de la ville ne rappelle nullement l’Orient ; on dirait une ancienne bourgade fortifiée de l’Italie méridionale. Les rues, en pentes raides, sont fort étroites et bordées de maisons très hautes, dont les étages supérieurs, souvent en bois, s’avancent en surplomb sur des poutres ou sur des encorbellemens. Quelques habitations ressemblent à ces villas romaines qu’on voit sur les fresques de Pompéi. Derrière un haut mur et une lourde porte bardée de gros clous et d’armatures en fer, s’ouvre une cour dallée en marbre blanc, avec le puits et l’impluvium, qu’ombragent des acacias et des cerisiers aux fruits d’un rouge éclatant. Vient ensuite la maison, précédée d’un péristyle à frêles colonnettes et à très hauts pilastres, le tout peint en blanc avec des filets et des arabesques bleu vif. Une vigne orne la façade de ses pampres chargés de grappes bleuissantes. Le soleil, perçant par place le feuillage, jette des découpures d’or sur les dalles et sur les fleurs. Ces vives couleurs et cette délicieuse fraîcheur donnent une impression de gaieté et de vie heureuse.

Chacun me parle ici des cruautés commises par les Turcs durant la dernière guerre. C’était un système : le but était de terrifier les populations afin de les empêcher de se soulever à l’approche des Russes. À Philippopoli, on pendait chaque jour vingt, trente, et un jour jusqu’à soixante Bulgares. Quand, sur les réclamations des ambassadeurs, on envoya Achmet-Vefik-Pacha pour mettre fin aux exécutions, le gouverneur fit pendre six rayas devant le konak pour saluer son arrivée ; il avait, disait-il, ses instructions de Constantinople. Ce fut la région d’ici au Balkan qui eut le plus à souffrir par suite des mouvemens alternatifs d’avancement et de recul des armées russes et ottomanes. Plusieurs villages des environs furent