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comme en 1855, lui découvrir des alliés ? Depuis deux ou trois siècles, en effet, l’Angleterre n’a pas fait une guerre continentale sans alliances ; à défaut de ses anciens auxiliaires, à défaut de l’Autriche de Wagram ou de la France de Sébastopol, n’avait-on pas la Turquie, bien diminuée, il est vrai, depuis les beaux jours d’Omer-Pacha, mais possédant toujours une nombreuse et belliqueuse armée ? Alors que la Porte, réduite à ses propres forces, avait seule tenu en échec, durant deux campagnes, toutes les Russies, que n’eût point fait la Turquie avec un contingent anglais, avec les flottes et l’argent de la Grande-Bretagne, sans compter les cipayes de l’Inde, qu’à l’instar de Beaconsfield le war office était libre de faire débarquer sur les classiques rivages de la Méditerranée ? Et, en effet, avec les cinq cent mille hommes qu’eût pu encore lever le séraskiérat, l’Angleterre aurait contraint la Russie, à peine remise de Plevna, à une nouvelle grande guerre.

Il n’y a donc pas à s’étonner des négociations entamées entre Londres et Constantinople pour une alliance éventuelle. Cruelle ironie de la politique, surtout vis-à-vis des philanthropes tels que M. Gladstone, — l’orateur du Midlothian, l’auteur des Bulgarian Atrocities, l’homme qui, dans une langue bizarre, avait publiquement qualifié les Turcs de « spécimen antihumain de l’humanité, » courtisait, à cinq ou six ans de distance, les pachas de la Porte et le sultan-calife, leur rappelant la vieille amitié de l’Angleterre. Heureusement, pour la paix de l’Europe, que ces propositions d’alliance étaient faites par un ministre connu pour son antipathie contre les vrais croyans, par un homme dont le nom avait été maudit dans les mosquées de Stamboul comme celui de l’ennemi de l’islam ! Si, au lieu de l’avocat des Bulgares et du promoteur de la démonstration de Dulcigno, le tentateur eût été l’insinuant Beaconsfield ou son élève Salisbury, l’hôte indolent d’Ildiz-Kiosk eût peut-être plus facilement prêté l’oreille au serpent britannique.

L’Angleterre ne manquait pas de moyens de séduction vis-à-vis de la Porte. Nous ne parlons pas ici des vulgaires argumens sonnans, si longtemps d’usage sur la Corne d’or. L’agent britannique avait une prise facile sur l’orgueil ottoman et sur le zèle musulman. Il n’avait pas seulement à faire vibrer les rancunes des défenseurs de Plevna contre le Moskal, à leur rappeler le peu de souci des vainqueurs pour les obligations de Berlin, à leur montrer les forteresses de la Bulgarie encore debout et Batoum transformé en place de guerre, malgré tous les engagemens de 1878. Les négociateurs anglais pouvaient offrir à la Porte autre chose que de vagues mirages de revanche. Grâce aux colonels égyptiens et à la folie d’Arabi, ils pouvaient lui offrir un pays qui a toujours été l’objet des ambitions de Byzance, l’Égypte. On sait quelle a été la politique