Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’Afghanistan. L’évacuation de Caboul et de Kandahar par les troupes du général Roberts concordait presque avec la prise de Ghéok-Tépé par Skobélef et l’installation de la domination russe dans l’Akhal. Il est vrai qu’en abandonnant les capitales afghanes le cabinet anglais pouvait se flatter d’enlever aux Russes un prétexte de pousser jusqu’à Merv.

Pour retirer leurs troupes des états de l’émir de Caboul, les Anglais ne renonçaient pas du reste à exercer dans l’Afghanistan une action prépondérante. Sur ce point, l’opinion n’aurait pas permis à M. Gladstone et à lord Granville de professer d’autres sentimens que lord Beaconsfield et lord Salisbury. Moins ils conservaient d’espoir d’arrêter la marche des Russes dans le Turkestan et plus les ministres de la reine Victoria devaient se montrer jaloux de maintenir les plateaux afghans en dehors de la sphère d’action de la Russie. L’envoi d’une ambassade russe à Caboul avait été l’occasion de la guerre anglo-afghane de 1878. Aux yeux des Anglo-Indiens, l’Afghanistan est, pour les frontières de l’Inde, une sorte de zone militaire où ils ne peuvent laisser prendre pied à aucun rival. Aussi, quels que soient leurs rapports avec l’émir de Caboul, se regardent-ils comme chargés de veiller à la sécurité et à l’intégrité de ses frontières. Ils en sont devenus les gardiens intéressés, et cela était si naturel que le gouvernement russe ne s’en est jamais offusqué ; jamais sur ce point il n’a fermé l’oreille aux propositions du foreign office.

Les Anglais n’ont eu garde d’attendre l’arrivée des patrouilles russes sur les pentes du Paropamise, pour négocier avec les nouveaux voisins de l’émir. Les libéraux, alors déjà partisans déclarés de la politique de paix, ont dès longtemps cherché des garanties de sécurité dans une entente directe de Londres et de Pétersbourg. Voici déjà plus d’une douzaine d’années, en 1872, le cabinet anglais, étant comme récemment encore présidé par M. Gladstone, et lord Granville dirigeant le foreign office, les deux gouvernemens étaient tombés d’accord pour fixer d’une manière plus précise les frontières de l’Afghanistan, ce qui visiblement revenait, pour tous deux, à délimiter la sphère d’action de l’Angleterre et de la Russie. De cet accord sortit le mémorandum de 1873, demeuré le point de départ des négociations de 1885. Dans ce document, le prince Gortchakof et lord Granville s’entendaient pour reconnaître le haut Oxus comme limite des domaines du khan de Bokhara et de l’émir de Caboul. Vers l’ouest, malheureusement, entre la Boukharie et la Perse, ni fleuve ni chaîne de montagnes ne s’offrait à marquer, aux Afghans, une frontière naturelle. Il se rencontrait bien encore des cours d’eau tels que le Murghab et le Héri-Roud ; mais ces rivières, descendant des collines de l’Afghanistan, coulent presque tout droit