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vieilles femmes. — Je ne crois pas l’empereur de Russie capable d’une politique agressive[1]. »

À part l’optimisme qui, chose rare chez les vieillards, est demeuré l’un des traits de sa riche nature, M. Gladstone a, depuis des années, rejeté les préventions et les antipathies de la plupart de ses concitoyens contre le colosse du Nord. Moitié par sentiment religieux et par conscience chrétienne, moitié par philanthropie, par amour des faibles et sincère intérêt pour les nationalités opprimées, l’ancien collègue de Palmerston a cru à la sincérité des Russes dans la dernière guerre d’Orient. Sans craindre de passer pour naïf, il a vu en eux des vengeurs de la foi chrétienne et des champions de l’humanité ; il a salué, dans les cosaques de Skobelef, les émancipateurs des Slaves asservis. Il était devenu philoslave, comme il avait été philhellène. Rien mieux, alors que toutes les sympathies de son gouvernement étaient pour les Turcs, M. Gladstone s’était fait l’auxiliaire des armées du tsar. Il leur avait apporté le secours d’une parole qui valait bien un des petits corps d’armée que l’Angleterre a tant de peine à mettre sur pied. Non-seulement, il dénonçait à l’Europe civilisée les assassins des Bulgares du Transbalkan, mais il se faisait, dans la presse anglaise, le collaborateur des slavophiles, d’autres diraient des panslavistes de Moscou. Il entreprenait de faire comprendre au public anglais les idées russes, le point de vue russe, dans la question d’Orient, et, pour les éclairer, il se chargeait de présenter à ses compatriotes les études orientales des dames moscovites en séjour à Londres[2]. On comprend après cela qu’un pair d’Angleterre et, qui pis est un pair libéral, le duc de Sutherland, si je ne me trompe, ait été jusqu’à dire à Saint-James’s’Hall : « La Russie est habile dans le choix de ses agens ; le principal en Angleterre est M. Gladstone. »

On comprend mieux encore la joie de la Gazette de Moscou lors du triomphe des libéraux et de l’avènement au pouvoir de cet ami désintéressé. Ce qui, jusqu’alors, avait toujours semblé la plus irréalisable des chimères, l’alliance anglo-russe, cessait de paraître une utopie. s’il n’y eut pas alliance (les principes mêmes de M. Gladstone, son désir de se renfermer dans les affaires intérieures de l’Angleterre, sa prédilection bien connue pour la politique de non-intervention, le disposaient mal à n’importe quelle alliance), il y eut au moins entente, dans la question orientale notamment. Le Monténégro, par exemple, s’étonna de trouver un appui aussi ferme

  1. « I have no fear myself of the territorial extension of Russia in Asia. I think this fear no betler than old women’s. — I do not believe that the Emperor of Russia is a man of aggressive policy. » (Troisième discours du Midlothian.)
  2. c’est ce qu’il a fait notamment pour O. K.., l’ingénieux auteur de Russia and England, Mme Olga de Novikof, née Kiréef.