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et financières, c’est à qui occupera le plus de contrées demeurées libres de maître, si ce n’est d’habitans, de même que dans nos villes et autour de nos capitales on se dispute les terrains vides, certain que l’avenir ne saurait manquer de leur donner du prix. Et l’on ne se contente plus, comme aux trois derniers siècles, d’occuper des points maritimes, des stations commerciales sur les côtes du Pacifique ou de l’Atlantique, on convoite les oasis et jusqu’aux sables du désert, comme autrefois les archipels des mers. On pénètre les continens de même que les océans ; on se les distribue d’avance dans des congrès. Les diplomates rédigent des protocoles sur le centre de l’Afrique, hier encore inconnu, et, pendant qu’ils négocient touchant les plateaux du centre de l’Asie, les officiers en dressent des cartes stratégiques.

Faut-il se plaindre ou se féliciter de cette fièvre coloniale qui a saisi la plupart des états, grands et petits ? c’est là, en réalité, une question oiseuse que les peuples et les gouvernemens ne se posent d’habitude qu’après coup, et que chacun résout suivant son tempérament et ses intérêts du moment. Quand, pour les peuples qui s’y laissent prendre, la politique coloniale ne serait qu’un mirage décevant, il en est ainsi de la plupart des ambitions individuelles ou nationales. Le désir de croître, de grandir, d’acquérir n’est-il pas le plus souvent, pour les peuples comme pour les individus, une sorte de duperie de la nature ? Ce qui, en tout cas, profitera le plus de ce grand mouvement d’expansion contemporaine, ce sont peut-être les intérêts moraux, car, au point de vue matériel, au point de vue économique, le gain est parfois douteux et le plus souvent fort lent, tandis qu’au point de vue intellectuel, il y a toujours avantage, pour une nation comme pour un homme, à élargir ses horizons. En agrandissant le cercle de ses intérêts, elle agrandit le cercle de ses idées. Quant au point de vue politique et social, s’il est vrai qu’un accroissement de territoire n’est pas toujours un accroissement de force, s’il est évident que l’extension même du territoire, dans les pays d’outre-mer surtout, impose des charges nouvelles, on ne saurait nier qu’elle stimule l’énergie des peuples et réveille des sociétés disposées à l’engourdissement.

Un des mérites qu’on peut attribuer au récent engouement pour la politique coloniale, c’est d’avoir servi de diversion aux ambitions et aux rancunes des peuples de l’Europe. Si mal combinées, si grossièrement conduites qu’aient été chez nous, par exemple, ces récentes entreprises d’outre-mer, elles ont contribué, durant les dernières années, au maintien de la paix européenne. À cet égard, les peuples de l’Europe avaient tout avantage à détourner leurs yeux et leurs convoitises de notre étroit continent, où leurs revendications nationales sont condamnées à se heurter,