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déjà fait trop de mal. Tout ce que le pays lui souhaite et lui demande, c'est d’être le président honoré d’une république qui cherche sa propre sécurité dans le respect des sentimens, des traditions et des intérêts de la France.

Au moment où l’année finit et où va commencer une année nouvelle, que peut à son tour se promettre l’Europe? Qu’a-t-elle à craindre ou à espérer pour ses destinées prochaines, pour sa sécurité, pour la paix qui est dans ses vœux et dans ses intérêts? Pour elle aussi, sans doute, l’avenir, même l’avenir de demain, est l’inconnu. Avant d'arriver au bout de cette carrière nouvelle qui s’ouvre, l’Europe a le temps de rencontrer bien des événemens sur son chemin, de voir l’imprévu éclater sous bien des formes. Les surprises font partie de la politique, surtout dans la situation si singulièrement compliquée du vieux continent, et nous vivons dans un temps où, plus que jamais, on peut dire qu'il faut s’attendre à de l’imprévu. Qui donc, dans notre monde européen, est à l’abri des crises, des agitations, de tout ce qui peut résulter de la disparition d’un prince, d’un incident déjouant tous les calculs, d’un conflit éclatant tout à coup sans consulter les convenances des cabinets? Il y a cinq mois tout au plus, l’Espagne ne se croyait certainement pas à la veille d’une querelle, même d’une querelle un instant sérieuse avec la puissante Allemagne pour des îles lointaines, et elle se doutait encore moins que son ordre intérieur allait être mis en péril par la fin prématurée de son jeune roi. La querelle des Carolines s’est apaisée, il est vrai, sous la main d’un pape, médiateur à l’esprit juste et habile ; mais la crise d’une minorité, d’une régence reste ouverte, et, à en juger par l’état des partis dans les cortès, tout récemment réunies pour l’inauguration de la régence nouvelle, l’avenir n’est peut-être rien moins qu'assuré au-delà des Pyrénées. En peu de temps tout a changé, tout s’est assombri, et les affaires d’Espagne, à peine dégagées d’un conflit d’orgueil national, sont redevenues plus que jamais une énigme dans l’ordre intérieur.

Il y a quatre mois, l’Europe ne soupçonnait pas que la lutte des races et des nationalités allait se réveiller brusquement, du jour au lendemain, dans les Balkans, et raviver presque la question d’Orient tout entière. L’entrevue de Kremsier, qui a été un des événemens diplomatiques de l’année, venait de sceller une fois de plus cette alliance des trois empires toujours représentée comme la garantie souveraine de la paix de l’Orient et de l’Occident. A peine les empereurs étaient-ils séparés, cependant, la lutte a éclaté dans les Balkans. Le signal a été donné, le 18 septembre, par cette révolution de Philippopoli, qui, en proclamant l’union de la Roumélie et de la Bulgarie, remettait en doute l’ordre créé par le traité de Berlin. L’insurrection bulgare a