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aimait à consulter sur les cas difficiles et à qui il disait : « Qu'en pense votre solidité? » Saint-Simon lui reprochait amèrement sa fureur de régenter l’univers; mais, à Saint-Cyr comme ailleurs, elle sut faire aimer sa férule.

Les femmes distinguées qui, au XVIIIe siècle et depuis, ont écrit sur l'éducation n’ont guère fait que suivre ses traces ; tout au plus ont-elles élargi la voie qu'elle avait ouverte. Un éloquent penseur disait, il n’y a pas longtemps, « qu'au fond de toute femme, il y a une douce folie, qu'il faut ramener par des caresses et de suaves paroles. » Il n'est pas prouvé que la suavité des paroles soit le meilleur moyen de guérir la folie, et il arrive quelquefois que les caresses l’exaspèrent. Mme Necker de Saussure, qui avait remarqué que tout ce qui tient au sentiment répond chez les jeunes filles à des idées personnelles, qu'il y a toujours des images et des noms propres dans leur esprit, en concluait qu'il faut leur faire étudier non-seulement la géographie et l'histoire, mais le calcul, les élémens des sciences naturelles, même un peu de géométrie, afin de les habituer à voir dans ce vaste univers autre chose que des noms propres et des images. Elle ne pensait pas comme Kant, qu'elles n’ont besoin de savoir du système du monde que ce qu'il leur en faut pour être touchées du spectacle du ciel dans une belle soirée, a c’est-à-dire pour comprendre de quelque manière qu'il existe encore d’autres mondes et d’autres belles créatures.» Hélas ! les belles créatures ont souvent une triste destinée. La vie est pleine de déceptions, on la traverse sans avoir rencontré l'être idéal dont on berçait l’image dans son cœur et dont on croyait savoir le nom, et pendant que les illusions s’évanouissent, il n’en demeure pas moins vrai que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits. c’est une vérité qui n’a rien de réjouissant, mais il est bon de s’accoutumer à connaître et à respecter des vérités éternelles qui ne peuvent contribuer en rien à notre bonheur. On découvre ainsi que le monde n’a pas été fait pour notre petite félicité particulière, que ses lois n’ont rien de commun avec nos désirs et nos espérances, et à la longue la discipline de l’esprit s’impose au cœur. On n’entre pas en religion ; mais comme le disait la fondatrice de Saint-Cyr, « on entre en raison, » et on finit par s’en bien trouver.

Jadis, c’était uniquement dans l’intérêt de leur bonheur et de leur dignité qu'on s’occupait d’instruire les femmes. Aujourd'hui c’est un intérêt social qu'on allègue, et en confie à l’état le soin d’ouvrir des écoles où les jeunes filles apprennent à connaître, à comprendre leur siècle, à concilier en quelque mesure le respect des vieilles habitudes avec l’intelligence des idées nouvelles, à ne plus condamner les dieux du jour sans les avoir entendus, à dire comme la prêtresse antique de qui on attendait des anathèmes : « Je suis née pour bénir, non pour