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espérer? Un établissement au fond de quelque province, dans un petit domaine, avec quelques poules, une vache, des dindons, et des dindons pas pour toutes encore. Heureuses les dindonnières! » Pouvait-on les accoutumer trop tôt aux obéissances qui coûtent, à ne rien dédaigner, à ne rien mépriser? Adieu les rubans et les vers! Les grandes habillaient, coiffaient et lavaient les petites; on les occupait à l’infirmerie, à la lingerie, au dortoir; on leur apprenait à faire les lits, à frotter, à épousseter, à éplucher les légumes. Mme de Maintenon n’était jamais si contente que lorsqu'elle voyait tout Saint-Cyr le balai à ta main : « On leur dit de porter du bois et de balayer, elles répondent qu'elles ne sont pas des servantes. Non, certainement, vous ne l’êtes pas; mais je souhaite qu'au sortir d’ici vous trouviez une chambre à balayer, tous serez trop heureuses et vous saurez alors que d'autres que des servantes balaient. »

A vrai dire, comme l’a encore remarqué M. Gréard, aucune des matières enseignées avant 1692 ne fut entièrement supprimée des programmes; on se contenta d’émonder les branches gourmandes. « Il 'y eut, à Saint-Cyr, comme une période de pénitence, après quoi on rentra dans la mesure. » Mme de Maintenon ne parlait pas sérieusement quand elle disait que ces demoiselles devaient savoir juste assez d'histoire pour ne pas confondre un empereur romain avec un empereur du Japon et un roi d’Espagne avec un roi de Siam. On ne voulait pas en faire des savantes et des héroïnes, mais on désirait « qu'elles en sussent autant que le commun des honnêtes gens. » Au surplus, si on les obligeait à faire des lits et à balayer, ce n’était point pour mortifier leur chair et leurs sens et pour offrir au Seigneur leurs lassitudes en sacrifice agréable. On voulait les accoutumer à la saine discipline du travail et leur apprendre à mater les vains orgueils, à ne plus honorer leur paresse et ses langueurs. Mme de Maintenon ne craignait pas de plaisanter sur les colifichets et les agnus; elle interdisait les abstinences, les austérités et les retraites : « Quand une fille instruite dira et pratiquera de perdre vêpres pour tenir compagnie à son mari malade, tout le monde l’approuvera ; quand elle dira qu'une femme fait mieux d’élever ses enfans et d’instruire ses domestiques que de passer la matinée à l’oratoire, on s’accommodera très bien de cette religion, et elle la fera aimer et respecter. » Ce n’était pas l’ascétisme des cloîtres qui régnait à Saint-Cyr, c’était l’ascétisme de la raison, qui fait passer le solide avant l’agréable, mais qui nous apprend aussi à tout régler, même le bien, à éviter tous les extrêmes, à modérer « jusqu'aux désirs de la ferveur; car la piété peut prendre le change, la raison ne le peut pas; la piété peut être indiscrète, la raison ne l’est jamais, et elle vient de Dieu qui veut bien être appelé la souveraine raison. » Ainsi s’exprimait cette femme que Louis XIV