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vraie foi et les mécréans et les schismatiques. Si Pierre Dubois. Revenait au monde, nous aurions plus d’une doctoresse à lui présenter ; mais les temps sont changés ; et elles ne s’occupent guère de convertir les mécréans.

Quand la renaissance eut accompli son œuvre et renouvelé l’Europe, on songea beaucoup moins au diable, et on se persuada que, sans offenser Dieu, l’homme pouvait se permettre d’embellir sa vie et sa maison, d’orner son esprit et sa vertu. On vit, selon l’expression de Rabelais, des femmes et des filles « aspirer à la louange et manne céleste de bonne doctrine ; » Erasme-et Vivès les y encourageaient. La pédagogie fut sécularisée comme toutes les autres sciences; on la définissait l’art de former de bons esprits. Au XVIIe siècle, la femme d’un roi fut, comme on l’a dit, la première institutrice laïque, et ses maximes, les règles qu'elle a posées sont encore bonnes à méditer. Elle ne s’est pas contentée de discourir et de prêcher, elle a mis la main à la pâte, et personne ne s’entendait comme elle à pétrir les âmes[1]. On sait qu'il y eut deux Saint-Cyr. Le premier dura jusqu'en 1692. On entendait que rien n’y sentît le monastère, ni par les pratiques extérieures, ni par l’habit, ni par les offices, ni par la vie. c’était l’agrément qui dominait, on ne ménageait ni les choux ni les rubans. On exerçait ces demoiselles à causer, à écrire; on désirait « qu'elles ne fussent pas si neuves quand elles s’en iraient que le sont la plupart des filles qui sortent des couvens et qu'elles sussent des choses dont elles ne fussent pas honteuses dans le monde. » On leur apprenait l’histoire, la mythologie, la musique, l’éloquence, la raillerie; on leur enseignait aussi à déclamer. Elles jouèrent Andromaque, Esther, Athalie, et elles les jouèrent si bien que Mme de Maintenon s’en alarma.

Elle passa condamnation. Elle se plaignit que son orgueil s’était répandu par toute la maison. Elle avait voulu, disait-elle, que ces filles nobles, sans fortune, eussent de l’esprit, qu'on leur élevât le cœur : « Elles ont de l’esprit et s’en servent contre nous; elles ont le cœur élevé et sont plus hautaines qu'il ne conviendrait aux plus grandes princesses. Nous avons fait des discoureuses, présomptueuses, curieuses, hardies; c’est ainsi qu'on réussit quand le désir d’exceller nous fait agir. » Comme l’a remarqué M. Gréard, la réforme fut énergique et décisive. On résolut de faire passer l’éducation avant tout et de préparer de loin ces demoiselles à toutes les dépendances, à toutes les duretés de la vie, de plier ces genoux raides et ces fronts superbes. « Elles comptaient sur la dot du roi; même avec cette dot, que pouvaient-elles

  1. Mme de Maintenon. Extraits de ses lettres, avis, entretiens, conversations et proverbes sur l’éducation, précédés d’une introduction, par Octave Gréard, 3e édition ; Paris, 1885. Hachette.