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La question de l’éducation des femmes est vieille comme le monde. Ceux qui veulent savoir de combien de façons diverses on a raisonné et déraisonné sur ce sujet n’ont qu'à lire le beau mémoire qu'a publié sur l’Enseignement secondaire des filles le vice-recteur de l’Académie de Paris, M. Gréard, l’un de ces hommes peu communs qui joignent le goût de la statistique aux idées générales, les vues élevées à l’étude scrupuleuse du détail, l’amour du bien à la défiance des systèmes et des utopies. « Explique-moi ce que tu penses des femmes et du rôle qu'elles doivent jouer dans la société, pourrait-on dire à tout législateur, et je te dirai ce que tu leur enseignes. » Lycurgue, qui ne leur demandait que de donner à Sparte des fils vigoureux et vaillans, s’occupait avant tout de fortifier leurs corps en les exerçant à la course, à la lutte, à lancer le disque et le javelot, « afin, disait-il, que les enfans qu'elles concevraient prissent de fortes racines dans de robustes entrailles. » Il voulait aussi qu'elles se connussent en vertus civiques, afin que les brocards qu'elles décocheraient aux lâches, les louanges qu'elles décerneraient aux vaillans excitassent dans l’âme des jeunes gens l’émulation du bien et une folie de courage et d’audace. S’il les accoutumait à paraître nues en public, c’était dans le dessein d’élever leur cœur au-dessus des sentimens de leur sexe et de leur enseigner que la vraie chasteté est dans l’âme, que la vraie pudeur est de rougir du mal.

Ce sont là des principes fort différens des nôtres; mais nous nous accordons tout aussi peu avec Rousseau, qui, jugeant que l’homme et la femme doivent différer en tout, se gardait bien de leur donner la même éducation et entendait réduire Sophie aux exercices agréables et au talent de plaire. « Les filles n’ont pas de collèges ! disait-il. Le grand malheur ! Eh ! plût à Dieu qu'il n’y en eût point pour les garçons; ils seraient plus sensément et plus honnêtement élevés. » Après Rousseau viendra Proudhon, qui, décrétant que, de par la nature et devant la justice, la femme ne pèse pas le tiers de l’homme, ne se souciera guère de l’instruire. Schopenhauer la traite plus durement encore. Il lui déclare tout net qu'elle ne sera jamais qu'un grand enfant, qu'elle est faite pour le second plan, pour le travail du ménage et pour la plus étroite sujétion. Il a décidé « qu'il faut remettre à sa place ce numéro deux de l’espèce humaine et supprimer la dame, ce produit malsain de la civilisation européenne. » Mais comment la remettre à sa place? On n’y réussira, selon lui, qu'en rétablissant la polygamie, à quoi il ajoute que la polygamie existant de fait à peu près partout, il suffit de la faire passer dans la loi et de l’organiser dans les règles. Que les femmes ne se plaignent pas trop des sévérités de certains philosophes modernes ! Les docteurs des âges mérovingiens ne leur ont pas été plus indulgens. Grégoire de Tours rapporte