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L'ENSEIGNEMENT DES JEUNES FILLES
EN FRANCE
A PROPOS D’UN LIVRE ALLEMAND

Il est rare que le Français garde une juste mesure dans le bien et dans le mal qu'il dit de son pays, de ses institutions, de bon gouvernement et de l’état de ses affaires. Selon que la fortune indulgente ou sévère nous enfle ou nous déprime le cœur, nous aimons à nous louer avec excès ou à nous rabaisser sans pitié, et tour à tour nous sommes trop contens ou trop mécontens de nous-mêmes. Aussi nous est-il bon de savoir ce que l’étranger pense de nous; son jugement peut nous servir à rectifier le nôtre. Jamais nous n’avons été moins disposés à nous voir tels que nous sommes. Nous sommes en proie à toutes les déraisons de l’esprit de parti, à ce que Voltaire appelait la rage de la faction : « O gens de parti, gens attaqués de la jaunisse, disait-il, vous verrez toujours tout jaune ! » Nos opinions politiques étendent de grosses taies sur nos yeux, et les uns admirent de confiance tout ce qui s’est fait en France depuis 1871 ; ils sont fermement convaincus que la justice et le sens commun sont des inventions très récentes, que le passé nous avait laissé tout à faire, que notre seul tort est de n’avoir pas tout démoli pour nous procurer le plaisir de tout reconstruire. Les autres pensent au contraire que jadis tout allait à merveille, que les plus sages réformes sont des attentats sacrilèges, qu'en touchant à l’arche sainte, on a tout mis en péril, qu'il ne nous reste plus qu'à nous repentir et à prier Dieu dans la cendre et dans le sac du pénitent : comme Jonas, ces prophètes de malheur font le tour