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premières manquent, et l’industrie est encore presque nulle, il y a nécessairement un grand mouvement d’importation et d'exportation. Pour un pays dans ces conditions, un chemin de fer est un sérieux élément de prospérité. Non-seulement les transports sont devenus plus prompts et plus faciles, mais encore le prix en a été abaissé de 75 pour 100. (Les transports effectués à dos de mulet revenaient à 50 ou 60 lepta par tonne et par kilomètre; avec la voie ferrée on arrive à 15 lepta.) Les Thessaliens, paraît-il, se sont piqués au travail ; l’industrie commence à naître, et malgré une récolte particulièrement mauvaise, la production agricole, à laquelle s’ouvre aujourd'hui le débouché commode des anciennes provinces du royaume, a augmenté depuis trois ans dans de notables proportions.

Les Thessaliens de religion grecque ne sont pas seuls à se féliciter de l’annexion au point de vue administratif et économique; les populations musulmanes ne méconnaissent pas les avantages du nouvel ordre de choses qu'ils ont accepté sans difficulté. l’exode qui s’annonçait en 1881 s’est vite arrêté. Souvent même des Turcs d'Albanie et de Macédoine viennent sur le territoire grec, afin de travailler aux routes et aux chemins de fer en construction. « Il y a de l’argent à gagner ici, » disent-ils en passant la frontière. Le gouvernement hellénique rend en travaux publics ce qu'il perçoit en impôts. Les Turcs, si Turcs qu'ils soient, ne sont pas insensibles à cette façon d’agir. Ils apprécient aussi l’équité de la constitution grecque, qui proclame l’égalité civique et politique de tous les citoyens sans distinction de culte, et qui permet aux provinces d'élire des députés chrétiens ou musulmans. A la chambre, le 19 mars 1884, Chérif-Bey, député musulman de Larisse, a rendu publiquement justice aux procédés de l’administration grecque. — Quelle anomalie! les Turcs soumis à la Grèce nomment des députés pour défendre leurs intérêts et participer au gouvernement du pays, et les Turcs libres sont privés de tout droit de représentation !

Cette annexion si profitable aux provinces a-t-elle été aussi un élément de prospérité et de force réelle pour le royaume ? Les Grecs ne cherchaient-ils pas à abuser l’Europe quand, en 1878, ils prétendaient que la possession de l’Épire et de la Thessalie était nécessaire à l’existence même de la Grèce, qui, du fait des puissances signataires du traité de 1830, avait les obligations d’un état avec les revenus d’une province? Ne s’abusaient-ils pas eux-mêmes quand ils s’imaginaient que l’accroissement du territoire serait aussi l’accroissement des ressources? Si les Grecs pensaient et parlaient de la sorte, c’est qu'ils se rappelaient ce qui s’était passé en Grèce depuis 1864, date de la réunion des îles Ioniennes au royaume. Cet agrandissement territorial marque le début d’une ère