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l'avait, dès les premiers jours de son avènement, confirmé dans ce poste de Hambourg ; c’était, une preuve de bienveillance qui permettait d’en espérer d’autres marques. Toujours préoccupé du sort de ses protégés, Grimm, au mois de février 1797, adressa donc à l’empereur Paul un mémoire destiné à lui recommander la famille de Bueil comme un héritage que lui léguait la bienfaisance de sa mère. Ce document forme une sorte d’autobiographie. l’écrivain y retraçait la manière dont s’étaient établies et poursuivies ses relations si particulières avec Catherine; il y rappelait les faveurs successives dont il avait été l’objet lui et les siens, les malheurs dont ils avaient été frappés par la révolution, les dons considérables par lesquels l’impératrice était venue au secours de leur misère, et il terminait en renouvelant une requête qu'il avait déjà adressée à sa bienfaitrice : tout son désir était que le tsar accordât au comte de Bueil, dans une partie quelconque de la Russie, une terre que le noble émigré ferait valoir, et sur laquelle il pourrait subsister avec sa femme et ses enfans. Ce projet n’eut pas de suite; Paul se contenta de conserver à Mme de Bueil la pension qu'elle recevait de Catherine.

Les détails nous manquent complètement sur le séjour de Grimm à Hambourg. Il paraît n’y être resté que peu de temps; la perte d'un œil, qui l’obligea de renoncer à l’usage de la plume, l’engagea sans doute aussi à se démettre de ses fonctions diplomatiques. Les tsars Paul et Alexandre ne lui en maintinrent pas moins les appointemens. c’est à Gotha que Grimm passa, dans la retraite, le reste de sa vie. Il y occupait, avec sa famille adoptive, une maison que le duc avait mise à sa disposition. Une de ses anciennes connaissances, Reichard, longtemps directeur du théâtre de la ville et l'auteur de nombreux ouvrages en tout genre, vécut avec Grimm, pendant ces dernières années, sur un pied d’assez grande intimité, et nous a laissé sur lui quelques renseignemens. Il raconte avec quel intérêt on écoutait le spirituel vieillard parler du passé, de ses entretiens avec Frédéric, le prince Henri et Catherine. Goethe, dans le voyage qu'il fit à Gotha, en 1801, y vit Grimm et dîna même avec lui dans la maison d’été du prince Auguste. « Homme du monde, dit-il, riche d’expérience et convive agréable, il ne pouvait cependant toujours dissimuler sa profonde amertume au souvenir des pertes qu'il avait faites. » Notre exilé n’allait plus guère à la cour ducale que dans de semblables occasions pour faire honneur à quelque personnage ; il endossait alors son vieil uniforme vert, sortait son Saint-Wladimir de l’écrin, et trouvait pour un moment, dans les récits qu'on lui demandait, le plaisir d’être encore quelque chose en les faisant, ou seulement même le plaisir de se plaindre.