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l'industrie ou sur le change, se contenter de vanter les hauts faits de sa souveraine ; ou, ce qui ne pouvait être désagréable à celle-ci, de dénigrer ses ennemis, l’Angleterre, la Pologne, la Suède. Catherine, au contraire, sur ces sujets, ne se pique d’aucun égard pour les sympathies de son souffre-douleur, traite rudement les princes dont elle le sait le plus coiffé. Et le souffre-douleur, je dois le dire, n'est pas héroïque et ne défend guère ses amis. La révolution vint à son aide; en bouleversant les relations politiques, elle modifia en bien des points les sentimens de Grimm et le dispensa des précautions qu'il avait dû prendre quelquefois auparavant pour les exprimer.

On rencontre dans les lettres de Grimm quelques informations sur sa personne et son genre de vie. Il est « devenu un homme opulent par les bienfaits de Sa Majesté, » et, un jour, par scrupule de délicatesse et pour prévenir les calomnies, il éprouve le besoin de rendre à l’impératrice un compte exact et de sa fortune et de la manière dont il l’a acquise :

« Au moment où je suis arrivé en Russie, j’étais parvenu à me faire, par mon travail et mes épargnes, environ 1,000 roubles de rente viagère; c’était tout mon avoir. Entre mes deux voyages de Russie, j’ai eu le malheur d’hériter d’un de mes frères 20,000 livres de France. Après avoir prodigieusement dépensé en voyages pendant près de cinq ans, je me suis trouvé à mon retour de Pétersbourg, vers la fin de 1777, encore une somme de 30,000 livres de reste, d'où il s’ensuit que les dons de Votre Majesté ont été très considérables pendant mes deux séjours. Me trouvant donc un capital de 50,000 livres par la réunion de ces deux sommes, je l’ai placé, au commencement de 1788, chez M. le duc d’Orléans, qui m’en paie 5 pour 100 d’intérêt en retenant les impositions royales, c’est-à-dire trois vingtièmes à cause de la guerre maudite. c’est en quoi consiste mon bien; il n’a été ni diminué, ni augmenté d’une obole depuis cette époque, c’est-à-dire pendant tout le temps de ma gestion des deniers de Votre Majesté impériale. Je vis sur mon courant formé par mon petit revenu combiné avec mes appointemens de Gotha. Cela ne fait pas une forte masse, mais j’ai compris de bonne heure qu'on n’était riche que des besoins qu'on n’avait pas, et sans les dépenses que la décence de ma place de ministre exige, je ne saurais vraisemblablement que faire de mon argent. Il a plu à Votre Majesté d’ajouter à cela, sans me consulter, 2,000 roubles de pension ; ce n’est pas au vermisseau à demander : Rosée bienfaisante du ciel, pourquoi me viens-tu? Mais j’ai senti que ce bienfait si peu mérité ne devait pas être regardé et dépensé comme un revenu. Je le mets en réserve tous les ans, et comme la guerre a obligé le roi de France de créer beaucoup de rentes viagères et