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transparente et si énigmatique, que le lecteur est entraîné par l’intérêt de cette révélation. Grimm, de son côté, est ici tout autre que nous ne le connaissions encore, infiniment plus libre, plus déboutonné, plus bavard, plus plaisant, plus souple, plus familier, plus important. Les deux correspondans ont, dès le premier jour, mis leurs lettres sur un ton qui permettait à la souveraine de tout dire au hasard de la plume, sans souci de la langue ou de la dignité, et qui autorisait le sujet à se permettre beaucoup aussi sans paraître oublier la distance des rangs, ni se départir du respect dû à une tête couronnée. Ce ton est celui d’une plaisanterie, disons mieux, d'une cocasserie qui ne se dément pas. Il faut avoir feuilleté ces volumes pour s’en faire une idée. Rien n’y est dit simplement. On mêle l’allemand et le français. On désigne les individus par des sobriquets ; Marie-Thérèse est « Maman, » Frédéric est Hérode, Gustave III, Falstaff, etc. Tout passe à la faveur de ce style. Grimm s'en sert, au besoin, pour contredire ou redresser. Catherine, par exemple, ayant fait je ne sais quelle confusion de noms, son correspondant se dit « payé par son auguste souveraine pour se défier de la tête impériale, dont peu de mortels ont été à portée comme lui de considérer et d’étudier la marche, c’est-à-dire les sauts et les bonds, et dont il n’est pas donné à tout le monde de mesurer les gambades, encore moins de les suivre. » Mais c’est surtout à varier le vocabulaire de l’adulation que Grimm fait servir ce ton de charge et de parade. Il y trouve des ressources que les façons ordinaires de parler ne lui auraient jamais fournies, et il évite les pires difficultés du genre, laissant incertain ce qu'il faut mettre au compte d’une admiration sincère ou au compte d’un jeu convenu. L'humilité, par ce moyen, devient impunément bassesse et la flatterie extravagance. Grimm demandera à être compté au nombre des chiens de l’impératrice. Il n’est qu'un ver de terre et il s’en félicite : « j’en suis plus fait, dit-il, pour ramper à ses pieds. » Il est deux formes que la flagornerie affecte surtout dans les lettres de Grimm, la description du culte qu'il rend à Catherine et le récit des émotions que ses faveurs lui font éprouver. l’impératrice a une chapelle dans l’hôtel de la Chaussée d’Antin, et elle y reçoit de toute la famille des hommages religieux. Les principales dates de sa vie, sa naissance, son avènement au trône, son couronnement, y sont célébrés par des fêtes. Tout ce qui émane d’elle excite des transports de reconnaissance, des cris d’admiration. Grimm vient d’obtenir le portrait de la souveraine. « L’image révérée, écrit-il, a été reçue avec les mêmes cérémonies et la même dévotion avec lesquelles le comte Souvarof reçut son cordon de Saint-André à Kinburn ; excepté de n’avoir pas communié, je puis me vanter d'avoir ri, pleuré et eu, autant que lui, l’air d’un possédé. Il est