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de 1773 à 1774 s’écoula ainsi pour moi dans une ivresse continuelle. Les bontés de l’impératrice semblaient s’accroître de jour en jour, et avec elles sa confiance. La mienne était telle que j’entrais dans son appartement avec la même sécurité que chez l’ami le plus intime, sûr de trouver dans son entretien un fonds inépuisable du plus grand intérêt sous la forme la plus piquante. »

Catherine, qui n’ignorait point que Grimm était à la recherche d'une position, eut l’idée de l’attacher à son service, et, le lendemain même de la première entrevue, elle lui fit faire des ouvertures à ce sujet. A la grande surprise de l’impératrice, Grimm se montra hésitant. Quelque séduisantes que parussent les propositions qui lui étaient faites, il se défiait d’une fortune qui reposait sur la base précaire de la faveur. Il lui en coûtait sans doute aussi de renoncer à ses habitudes et à sa société de Paris. Il dut, enfin, comprendre l’impossibilité soit de se séparer de Mme d’Epinay, soit de la faire venir en Russie. « Les bontés de l’impératrice m’ont rendu fou, écrivait-il au comte de Nesselrode ; si je la quitte, j’en mourrai de douleur, mais comment rester? » La maladie vint à son secours. Il fut attaqué d’une fièvre d’accès qui le retint quelques semaines chez lui, et que les médecins ne crurent pouvoir couper sans un changement d’air. Grimm se sépara donc de Catherine, au mois d'avril 1774, en promettant toutefois de revenir et en s’engageant jusque-là à donner fréquemment de ses nouvelles. Telle fut l’origine de la précieuse correspondance dont nous devons la publication à la Société impériale de l’histoire de Russie. Les lettres de la tsarine, qui n’offrent que peu de lacunes, commencent au lendemain du départ de Grimm, en 1774, et vont jusqu'au 20 octobre 1796, un mois avant la mort de Catherine. Nous étions moins favorisés en ce qui concerne les lettres de son correspondant, dont une petite partie seulement avait pu être recouvrée dans les archives de la couronne et entre les mains du prince Woronzof ; une trouvaille, récemment faite dans un château de Pologne, vient heureusement d’y ajouter un grand nombre de pièces nouvelles et relatives aux dernières années du règne, par conséquent à la politique de Catherine pendant la Révolution. La collection n’en reste pas moins encore fort incomplète. La suite de ces lettres ne devient régulière qu'en 1779 ; elle souffre plusieurs interruptions entre 1783 et 1790, et elle fait entièrement défaut entre mai 1791 et août 1793.

Grimm fut fidèle à sa parole. Il revint à Pétersbourg, en 1776, après un voyage de quelques mois, dans lequel il servit de mentor aux jeunes comtes Romanzof, et qui le conduisit successivement à Naples, où il embrassa Galiani ; à Rome, qu'il aspirait depuis longtemps à visiter ; à Ferney, où il fut reçu par Voltaire, et à