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me révoltais contre ce fatalisme politique et religieux qui condamnait un peuple à périr pour ajouter une étoile de plus au drapeau de l’Union. Une race autochtone, au sein d’un archipel distant de plus de cent cents lieues de mer du continent américain et de l’Asie offrant à tous un sol hospitalier et une sécurité absolue sollicitant timidement son admission dans les rangs des nations civilisées, me paraissait avoir des droits incontestables à vivre de sa vie propre et à conserver sa place au soleil. Mes convictions n’étaient un secret pour personne ; on me considérait comme un adversaire déclaré de l’annexion, mais mon opinion n’avait alors que peu de poids ; plus théorique que pratique, elle ne s’appuyait pas encore sur les données de l’expérience, sur les argumens solides. Je demandais les unes au temps, les autres au travail et accumulais patiemment des provisions de faits et d’observations, arsenal dans lequel je devais un jour puiser pour édifier et défendre tout un système politique.

Ouvertes le 12 août 1856, les conférences se terminèrent par la signature, le 29 octobre 1857, du nouveau traité La discussion fut vive et sur certains points, notamment celui relatif à la réduction des droits de douane sur les spiritueux, la résistance les plénipotentiaires havaïens était pleinement justifiée. Ils représentaient que la réduction de ces droits ne profiterait en rien à la France, qui n’entretenait aucun commerce direct avec l’archipel ; ils prouvaient, en outre, ce qu’il était impossible de contester, que la consommation des spiritueux était un fléau pour la race indigène et que la France, qui l’interdissait à Tahiti aux indigènes, ne pouvait logiquement l’imposer aux îles Havaï. Mais de Paris les ordres étaient péremptoires, et le gouvernement havaïen, forcé d’accepter le traité tel quel ou de courir les risques d’une rupture, céda. Le traité fut signé à la grande satisfaction des négocians allemands, anglais et américains, qui profitèrent seuls de la réduction des droits sur les spiritueux en important du gin et du whiskey. Pas un baril d’eau-de-vie français ne bénéficia de ce dégrèvement, dont la France assuma bénévolement la responsabilité.

Plus habile, l’Angleterre recueillait les avantages de nos exigences et s’appliquait, en toute occasion, à ménager les légitimes susceptibilités d’un peuple vis-à-vis duquel elle se posait en protectrice et amie. Ses navigateurs, Cook et Vancouver, avaient laissé dans l’archipel d’impérissables souvenirs. Un Anglais, M. Wyllie, possédait la confiance du roi et dirigeait la politique extérieure ; Kaméhaméha IV et son frère n’avaient pas oublié l’accueil sympathique qu’ils avaient reçu en Angleterre ; enfin, la reine Emma, Anglaise d’origine, était, en ce moment même de la part de la reine