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vrais coupables sont ceux qui ont ouvert ou laissé ouvrir cette triste campagne de divulgations indiscrètes, ceux qui depuis trois semaines livrent aux contestations, aux curiosités du monde les médiocres secrets de nos actions, la dignité de nos officiers, l’honneur de notre armée, — laissant un suspens la seule question qui intéresse la France, la question de l’abandon ou de la conservation du Tonkin.

Voilà le point essentiel sur lequel rien n’est encore décidé, et on semble oublier que ce n’est pas tout de chercher les petits papiers dans les archives, d’écouter des discours dans une commission, — que pendant ce temps, le bruit de nos vaines agitations peut arriver, arrive inévitablement jusque dans l’extrême Orient. M. le général de Courcy, par une prévoyance peut-être nécessaire, quoique un peu singulière, qui n’est qu’une anomalie de plus, a cru devoir intercepter les communications de France, et il l’a dit dans une dépêche qui a été publiée comme toutes les autres, bien entendu. C’est une précaution probablement inutile. La vérité n’arrive pas moins. Pendant que nos politiques se perdent en débats stériles, nos soldats peuvent se demander s’ils auront versé leur sang pour rien, s’il est bien nécessaire qu’ils le versent encore pour défendre une terre qu’on ne veut peut-être, pas garder. Nos protégés, ceux qui se sont attachés à notre cause, se sentent nécessairement menacés par cette éventualité de la retraite de notre drapeau, et nos ennemis ne peuvent que retrouver leur confiance et leur courage pour tenir la campagne. La Chine peut se dire philosophiquement que ce n’était pas la peine de lui faire la guerre, de lui imposer des traités pour finir par lui donner raison ; mais ce n’est pas seulement dans l’extrême Orient que ces tristes débats, ces tristes œuvres d’une commission présomptueuse et agitée peuvent avoir un effet désastreux, c’est en Europe, dans le monde entier, partout où notre pays est encore un objet d’attention. Ceux qui disposent de nos affaires ne se doutent certainement pas de l’impression étrange qu’ils produisent au loin : ils découragent les plus vieilles sympathies. On finit par se désintéresser de nos médiocrités, de nos misérables querelles, par croire à notre impuissance dans les affaires du monde qui exigent quelque esprit de suite, quelque sûreté de rapports. On s’accoutume trop aisément par malheur à l’idée qu’il n’y a plus guère à compter avec un pays dont les représentais, prompts à tout désorganiser, font si bon marché des secrets de la diplomatie, de l’ordre dans l’armée, — et c’est ainsi que la France souffre dans sa considération extérieure d’une politique qui ne s’est révélée jusqu’ici que par des passions et par des inconsistances, par un goût révolutionnaire et invétéré d’arbitraire.

C’est ainsi effectivement. C’est l’incurable faiblesse de la politique républicaine, telle qu’on l’a faite depuis dix ans, de ne pouvoir se