Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’éternelles et périlleuses séductions : ils les attirent et, les perdent parfois. Ils leur promettent, avec l’émulation féconde, une part, une moitié peut-être de leur gloire. Promesses souvent trompeuses ! L’appel est un défi, et le génie, comme le sphinx antique, est fatal à qui l’approche sans être sûr de triompher de lui.

Quelle dangereuse sympathie vient de porter vers le plus tragique de nos poètes le moins tragique de nos compositeurs ? Sans doute une de ces raisons du cœur que la raison ne connaît pas. On ne s’attendait guère à voir M. Massenet écrire le nom du Cid en tête d’une partition. Il avait si souvent murmuré des noms de femmes : Eve, Marie-Magdeleine, Hérodiade, Manon ! Il était si bien le voluptueux musicien des rêveries plus que des passions, des langueurs plus que des violences d’amour ! S’il voulait emprunter un sujet au XVIIe siècle, au lieu de prendre le Cid à Corneille, que ne prenait-il à Racine Andromaque ou Bérénice, une héroïne au lieu d’un héros ? Alors, quelles élégies, quelles plaintes le jeune maître nous eût soupirées ! Comme on aurait applaudi une fois encore à sa grâce, à sa poésie !

Il a souhaité faire plus et cru faire mieux. Entraîné par le prestige d’un grand nom et d’un génie puissant, il a rêvé pour lui-même la puissance et la grandeur. Mais, dans l’œuvre de M. Massenet, des pages comme le premier et le troisième finale du Roi de Lahore seront toujours des exceptions, et comme des violences à sa nature, une des plus délicates qui soient, nature de musicien plus que d’homme de théâtre, un peu faible parfois pour l’immense cadre de l’Opéra.

Plus que tout autre sujet, le Cid voulait un musicien vigoureux : Meyerbeer, par exemple, ou, à son défaut, et, plus près de nous, le pauvre Bizet, auquel la mort arracha l’ouvrage à peine commencé. De lui peut-être la tragédie de Corneille eût reçu une nouvelle gloire, s’il est vrai que les chefs-d’œuvre consacrés aient besoin de ces surcroîts de génie. Si les librettistes et les musiciens peuvent s’inspirer heureusement des poètes étrangers, il est dangereux de porter à l’Opéra français un drame à ce point national et populaire, que le texte même, comme l’action, nous en est familier. Certains dialogues, certains vers du Cid ne souffrent ni que la musique les altère, ni qu’elle les reproduise.

MM. d’Ennery, Gallet et Blau ont respecté le texte de Corneille, là seulement où le moindre changement eût paru sacrilège. Partout ailleurs ils n’ont gardé que l’allure générale du drame : ingénieux à dégager les situations favorables à la musique, ajoutant des épisodes heureux, par exemple la scène où Chimène cherche le meurtrier de son père. Ils nous ont montré Rodrigue armé par le roi ; ils nous l’ont encore montré sous sa tente, recevant de saint Jacques une promesse de victoire. Cette intervention surnaturelle donne à Rodrigue une