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et ses nationaux lui suffisait Mais ce point de vue n’était point celui où se plaçaient les missionnaires et les colons américains. Pour les premiers, l’annexion était la consécration politique de leur œuvre religieuse. Pour eux, comme pour les colons, elle assurait, en outre, en l’augmentant, leur fortune personnelle. L’annexion, c’était la hausse considérable du prix des terrains dont ils étaient propriétaires, c’était une grande impulsion donnée à l’exploitation du sol, au commerce, aux armemens pour la pêche de la baleine ; aucun de ces avantages n’échappait à l’œil clairvoyant et pratique de l’Américain du Nord.

Divisés sur presque toutes les questions, les missionnaires et les colons américains se rencontraient sur ce terrain commun. Par des moyens différens ils tendaient au même but. Les missionnaires, par leurs rapports et leurs publications, s’attachaient à gagner à leurs vues l’opinion publique si puissante aux États-Unis et à vaincre par elle la résistance du cabinet de Washington et du congrès lui-même. Les colons s’efforçaient de persuader le roi et les chefs, de les amener à prendre l’initiative d’une demande d’annexion, leur faisant entrevoir des indemnités considérables, le maintien de la plupart de leurs privilèges, une existence large et facile sous la protection des États-Unis, et, en cas de refus, une annexion inévitable dans un délai peu éloigné, sans aucun des avantages qu’ils pouvaient encore stipuler.

À la population indigène hésitante, répugnant par instinct à l’aliénation de ses droits, ou parlait de l’occupation de Tahiti et des îles Marquises par la France ; on affectait de craindre qu’après avoir pris pied dans l’Océan-Pacifique du sud, elle ne convoitât l’archipel havaïen. On exagérait à dessein quelques difficultés locales entre le représentant de la France et le gouvernement au sujet des missionnaires catholiques ; on attribuait enfin à l’Angleterre des visées île même nature et on s’efforçait de persuader aux indigènes que la perte de leur indépendance n’était qu’une question de temps, et qu’ils avaient tout à gagner à devenir citoyens libres de la grande république.

La découverte de l’or en Californie en 1848 donnait un point d’appui inattendu à la propagande annexioniste. Un nouvel état se créait et se peuplait en peu d’années ; une ville riche et puissante surgissait sur la côte du Pacifique, attirant à elle des flottes entières, devenant le centre d’un commerce considérable, offrant à l’archipel un débouché qui dépassait de beaucoup sa puissance de production. Au début, tout manquait, sauf l’or, à San-Francisco, et l’or de San-Francisco affluait à Honolulu, où les navires se succédaient sans interruption, achetant à haut prix fruits, légumes,