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suites de l’opération. Les langues mortes sont mortes, nous dit-il, bien mortes, et il nous faut un enseignement vivant. Toutes les raisons par lesquelles on pouvait soutenir autrefois le latin sont des raisons aujourd’hui surannées, si même on peut dire qu’elles aient jamais en quelque valeur, — autre part qu’à Rome et du temps de Virgile et d’Horace. De quoi nous servent l’Enéide et de quoi les Philippiques ? Vivons-nous sous la loi des Institutes de Gaïus ou du sénatus-consulte velléien ? Dans la boutique ou dans le bureau, « pour gérer nos propriétés ou pour conduire notre famille, » industriels ou commerçans, quel fruit tirons-nous d’un savoir acquis si lentement, si péniblement, si imparfaitement, quel fruit ou quel plaisir ? Joue-t-on la comédie ou l’opéra en latin ? Fait-on l’amour en latin, comme disais excellemment la marquise de la Jeannotière ? Alors, pourquoi Despautère ou Lhomond ? pourquoi des thèmes ? pourquoi des versions ? Pour se conformer à l’usage ? à la routine ? à des mœurs qui ne sont plus les nôtres ? Nous sommes le siècle de la vapeur et de l’électricité, le siècle aussi de la concurrence vitale et de la démocratie, et nous ne demandons pas qu’on nous orne pour la société, mais qu’on nous arme pour l’existence. La question n’est plus d’écrire ou de parler, mais de faire de l’argent, et le latin n’y peut rien, à moins que l’on ne fasse métier de l’enseigner. « Aujourd’hui, les nations rivales qui représentent la civilisation se précipitent, avec une émulation inquiète, sur toutes les contrées qui restent à dominer ou à exploiter… L’Amérique est une seconde Europe, plus jeune et plus vaste. L’Afrique est percée presque en tous sens de routes où les voyageurs devancent les marchands… On voit naître au Cap et en Océanie, comme au Canada, des confédérations entières de peuples nouveaux. Le grand empire de l’Asie orientale a ouvert ou laissé briser ses portes : le Japon s’est rallié tout à coup. » Que l’on nous donne donc, à nous aussi, Français, les moyens de prendre part à cette fructueuse exploitation de l’homme ; que l’on nous apprenne enfin l’art de vendre cher et d’acheter bon marché, celui de placer notre argent et de le faire valoir ; l’art d’accroître nos revenus en contribuant du même coup aux progrès de la civilisation, d’empoisonner le Chinois, race inférieure, en l’abrutissant d’opium, ou de détruire les « classes dangereuses » en les abreuvant royalement d’eau-de-vie de betteraves et de pommes de terre. Cet idéal est-il d’ailleurs si difficile à réaliser ? On le croit, mais l’on se trompe. A l’étude inutile du latin substituez seulement celle de la géographie et des langues étrangères. « La crise que nous traversons en ce moment même tient, en grande partie, à notre ignorance de l’état du marché universel. » Nous retrouverions cet esprit d’audace et d’aventure, qui fut jadis le nôtre, si nous savions que « l’Irlandais qui