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moral de la question. La participation aux bénéfices, devenue une clause du cahier des charges de chaque entrepreneur, ne sera plus pour le coup une libéralité. Une libéralité ne s’impose pas. Ce sera une des clauses du contrat passé entre l’entrepreneur et ses ouvriers. Qu’en résultera-t-il ? C’est que l’ouvrier se trouvera tout naturellement amené à rechercher si cette clause lui est suffisamment avantageuse. Il ne discutera plus seulement avec son patron le taux de son salaire ; il discutera également le taux de sa participation aux bénéfices, et il y aura entre eux deux sujets de désaccord possible au lieu d’un. Vainement essaiera-t-on de fixer dans le cahier des charges la part proportionnelle sur les bénéfices qui sera attribuée à l’ouvrier. Cette prescription impérative ne réussira pas plus à prévenir le désaccord que la série des prix qui fixe le prix de l’heure de travail ne prévient le désaccord sur la question des salaires, et de l’un comme de l’autre conflit, la grève sera toujours le dernier mot. Au sentiment de la reconnaissance qu’inspire aujourd’hui aux ouvriers la participation aux bénéfices spontanément accordée par le patron on aura substitué les exigences et l’âpreté de l’intérêt personnel. C’est tout ce qu’on aura fait.

Je me trompe ; ce n’est pas tout. En effet, le fonctionnement de la participation aux bénéfices repose, ainsi que je l’ai expliqué tout à l’heure, sur la confiance des ouvriers dans la bonne foi du patron. Point de vérification des comptes par les ouvriers ; ils s’en rapportent à la simple délicatesse du patron qui, de son côté, ne saurait admettre leur immixtion dans ses affaires. Les ouvriers ont leur garantie dans le fait même que le patron, qui ne leur doit rien en plus de leur salaire, tient cependant à prélever, à leur profit, quelque chose sur son bénéfice et, de son côté, le patron, maître de disposer comme il l’entend de ce bénéfice, n’a aucun intérêt à en dissimuler aux ouvriers la quotité. En serait-il de même lorsque la participation aux bénéfices sera devenue pour les ouvriers un droit, pour les patrons une obligation ? Qui pourrait le prétendre ? Très légitimement les ouvriers demanderont à savoir comment s’établit ce bénéfice dont une partie doit leur revenir ; très naturellement aussi le patron qui, le plus souvent n’aura accepté cette clause de son cahier des charges qu’en maugréant, aura intérêt à employer tous les artifices de comptabilité pour en diminuer l’importance. De là contestations possibles, probables mêmes, et la participation aux bénéfices, qui devait servir à réconcilier le travail et le capital, le patron et les ouvriers, deviendra, au contraire, un germe de méfiance, une complication de plus dans leurs rapports déjà si difficiles. Tel sera le résultat inévitable de l’immixtion de l’état dans cette question, qui doit être librement débattue entre les parties, et cette intervention même n’est que la conséquence d’une