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bénéfices ? Est-ce un contrat sui generis, établissant entre au chef d’établissement et son personnel, entre un patron et ses ouvriers, un lien de droit et, par là même, imposant aux uns comme aux autres des obligations réciproques ? Est-ce, au contraire, un acte de libéralité de la part du chef d’industrie ou du patron, libéralité à la continuation de laquelle il ne saurait être astreint et qu’il demeure toujours maître de suspendre ou de renouveler à son gré ? Ce n’est point ici, comme on le pourrait croire, une distinction purement théorique ; au contraire, tout le nœud de la question est là et, suivant que, dans la pratique des choses, on assimilera la participation aux bénéfices a un contrat ou à une libéralité, il en ressortira des conséquences absolument différentes.

Si c’est un contrat, il faut convenir que c’est un contrat d’une espèce bien particulière. Le propre, en effet, de ce qu’on appelle dans le langage ordinaire un contrat, c’est d’imposer aux parties contractantes des obligations ou des charges réciproques. Si toutes les obligations, toutes les charges sont d’un seul côté, il n’y a plus à proprement parler, contrat. Or, dans la participation aux bénéfices, telle qu’elle est mise en pratique dans les maisons qui l’ont adoptée, de quel côté sont les charges ? Elles sont tout entières du côté du patron. Il n’y a pas un seul chef d’industrie qui, en associant ses ouvriers aux bénéfices éventuels de son industrie, leur ait tenu le langage suivant : « Si je fais des bénéfices, je vous en distribuerai une partie ; mais, par contre, si mon exercice se solde en perte, je retiendrai sur vos salaires ou sur vos appointemens une part proportionnelle aux pertes que j’aurai subies. » Tous ont dit au contraire : « Si je fais des bénéfices, nous partagerons : si je fais des pertes je serai seul à les subir. » C’est ainsi que, dans tous les établissemens, sans exception, est entendue la participation aux bénéfices. Partout les ouvriers ont la chance du gain, nulle part ils ne courent le risque de la perte. C’est là, on en conviendra, une première stipulation qui dans un contrat serait bien singulière.

Ce n’est pas tout. La participation aux bénéfices, telle qu’elle est pratiquée dans toutes les maisons qui l’ont adoptée, présente un autre caractère qui n’est pas moins en opposition avec l’idée même d’un contrat. C’est le pouvoir absolument discrétionnaire laissé au patron d’établir lui-même et sans contrôle le chiffre du bénéfice réalisé, dont une quote-part doit être distribuée au personnel salarié. Parfois le patron se réserve de fixer lui-même chaque année cette quote-part ; le plus souvent elle est déterminée à l’avance par un règlement dont il est donné connaissance aux ouvriers pour stimuler leur zèle. Mais ce même règlement contient toujours la clause expresse que la comptabilité de la maison sera tenue exclusivement par le patron, que les ouvriers n’auront aucun droit d’en