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« promettant qu’ils le nourriront et l’élèveront avec le plus grand soin. » Si un roi veut conclure un traité, les grands sont présens et participent à l’acte. Si un roi ou une reine veut gouverner sans les grands ou contre eux, une lutte à mort s’engage : Brunehaut frappe sans pitié évêques et leudes, jusqu’à ce qu’elle succombe, trahie, jugée, condamnée par eux.

Ces conflits étaient d’autant plus fréquens que les droits réciproques du roi et des leudes étaient très incertains. Lorsque le roi donnait des terres, il n’imposait aucune obligation, mais il entendait que ceux envers qui s’était exercée sa libéralité lui demeurassent fidèles, et il se croyait en droit de reprendre ce qu’il avait donné en cas d’infidélité. Comme il était juge de la fidélité des siens et qu’il pouvait être conduit par caprice ou par nécessité à défaire ce qu’il avait fait, les grands ne se sentaient point en possession assurée des terres royales. Aussi voulurent-ils se protéger contre des revendications toujours possibles. Lorsqu’on l’année 587 Gontran de Bourgogne et Childebert d’Austrasie se rencontrèrent à Andelot pour y régler des affaires communes, les évêques et les grands, qui avaient fait l’office de médiateurs, mirent dans le traité l’article célèbre : « Que tout ce que les dits rois ont donné aux églises ou à leurs fidèles ou voudront encore leur donner, soit confirmé avec stabilité. » Quelques années après, l’aristocratie, après avoir vaincu Brunehaut, faisait écrire par Clotaire II dans l’édit de 614 : « Tout ce que nos parens, les princes nos prédécesseurs, ont accordé et confirmé, doit être confirmé. » Il n’était pas dit par là que les dons fussent perpétuels et irrévocables ; aucun principe nouveau n’était établi, mais les droits des détenteurs de terres royales étaient protégés par cette double déclaration, et il n’y a pas de doute que la faculté que le roi s’attribuait de reprendre les dons est limitée par les articles du traité d’Andelot et de l’édit de 614. Mais l’édit de 614 contenait des dispositions plus importantes encore. L’église faisait confirmer tous ses privilèges, et le roi promettait d’observer les règles canoniques et de laisser faire les élections épiscopales par le peuple et le clergé. Enfin, comme l’aristocratie avait tout à craindre des violences ou même seulement de la surveillance et du zèle légitime des officiers, s’ils étaient choisis dans le palatium parmi un personnel tout dévoué au roi, elle fit décréter que le comte serait choisi parmi les habitans du comté, « afin, disait l’édit, qu’il pût être obligé de restituer sur ses biens ce qu’il aurait pris injustement. »

Cette aristocratie sera-t-elle du moins capable de gouverner ? Se contentera-t-elle de limiter le pouvoir et de participer aux affaires ?