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le gouvernement, une cour et des dignitaires dont la plupart portent des titres romains. Ils font des édits et des décrets comme l’empereur. Ils prennent des mesures d’ordre public et maintiennent le système des impôts romains. Ils sont représentés dans les provinces par des officiers. Juges suprêmes, ils s’assoient au tribunal « pour entendre et juger les causes de tous. » On les qualifie de « Votre Excellence, Votre Sérénité, Votre Gloire, Votre Magnificence, Votre Sublimité. » Les hagiographes les nomment Augustus et parlent de leur « mémoire divine. » Eux-mêmes disent que « Dieu leur a commis la charge de régner » et qu’ils sont ses mandataires.

Qu’y a-t-il de réel sous ces belles apparences ? Une comparaison exacte entre la palatium mérovingien et la palatium romain montrerait que le premier est une cohue, au lieu que le second est bien ordonné ; que maints offices désignés par des noms romains sont d’origine germanique et que d’autres étaient inconnus à la cour impériale, : que le consistorium franc, dont la composition et les attributions sont mal définies, ressemble seulement par le nom au consistorium principis, où toutes les affaires étaient discutées devant l’empereur par le questeur du sacré palais, qui était une sorte de ministre d’état, et par les chefs des services civils et militaires. Et quelle comparaison possible entre l’administration romaine et l’administration mérovingienne ? Où est la hiérarchie des officiers ? Où la séparation des pouvoirs ? La principale division administrative au temps des Mérovingiens est le comté : ils l’ont trouvée toute faite : elle était très ancienne. Lorsque Rome avait organisé la Gaule, elle avait fait du territoire de chaque peuple gaulois une civitas, respectant ainsi un cadre géographique consacré par une longue tradition ; l’église fit de la civitas le diocèse, et les Mérovingiens en firent le comté ; mais ils remirent au comte la délégation du pouvoir royal tout entier. Le comte fut un juge, un gardien de la paix générale, un percepteur qui devait compter chaque année avec le trésor, un chef militaire préposé à la levée et au commandement du contingent. On exigeait de lui beaucoup plus que d’un fonctionnaire romain, alors qu’il n’était pas, à coup sûr, aussi expérimenté. Ajoutez que l’administration devenait bien difficile, au moment même où les administrateurs devenaient plus incapables. Au régime de la loi unique avait succédé le régime des lois personnelles, et il fallait que ce juge jugeât suivant leurs lois le Romain, le Franc, le Burgonde qui vivaient dans son comté. Ce percepteur eut fort à faire avec les Francs qui ne voulaient pas payer l’impôt, et avec les Romains qui surent s’y soustraire dès que les désordres commencèrent. Comme il n’y avait plus d’armée permanente, il fut très malaisé à ce chef militaire de réunir et de commander des troupes d’hommes