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Contre cette idole s’est insurgé le christianisme pour l’honneur du genre humain. Le princeps et le christianisme se sont traités d’abord en ennemis irréconciliables. Les chrétiens, ne pouvant comprendre le monde sans l’empereur et n’imaginant pas que cet empereur-dieu pût jamais devenir chrétien, annoncaient la fin des siècles et appelaient de leurs vœux le jugement dernier. Cependant les deux adversaires se rapprochèrent au Ive siècle ; les deux termes de l’antinomie se concilièrent. Mais l’empereur, le jour même où il reconnut à l’église le droit d’exister, y entra, comme un triomphateur et un maître, toujours vêtu de pourpre, de soie et d’or et couronne en tôle. Son palais, sa chambre, sa main, son trésor demeurent sacrés. Il donne à l’église ses premiers privilèges ; il appuie ses préceptes de la force du bras séculier : il ordonne la célébration du dimanche ; il décrète la suppression du vieux culte païen, qu’il appelle superstitio et idolorum insania, et la fermeture des temples, sous peine d’être frappé du « glaive vengeur ; » mais il ne s’est jamais considéré comme un serviteur de l’église. Il n’est plus dieu, mais il est toujours le chef de la religion. Quatre-vingts ans après l’édit de tolérance rendu par Constantin, il s’appelle encore pontifex maximus, et, même lorsque Gratien aura renoncé au titre, l’empereur restera grand pontife. Constantin a présidé le concile de Nicée ; il a fait, dans les proclamations impériales où il exhorte ses sujets à se faire chrétiens, les premiers sermons qu’ait prononcés un empereur ; ils lui ont été dictés, mais ses successeurs feront leurs sermons eux-mêmes, régulièrement, comme une besogne de leur office impérial. Ils seront des théologiens, tantôt orthodoxes et tantôt hérétiques, mais imposant toujours leur croyances. Ils donneront au peuple leur bénédiction. Le peuple et les évêques se prosterneront devant leur visage. Ils marcheront escortés par les thuriféraires. Leurs images seront saintes et entourées de l’auréole. Singulière histoire que l’histoire de cette auréole ! Les rayons en sont empruntés à la divinité des rois d’Orient, a la divinité de l’ancienne Rome, à la divinité même du Christ et à la sainteté des apôtres ; car tout se mêle et se confond dans la personne du princeps, et sa grandeur est vraiment majestueuse parce qu’elle reflète tout à la fois la majesté de l’histoire profane et la majesté de l’histoire sacrée.

Roi germain, princeps romain, quelles différences entre ces deux personnages ! Et pourtant les rois mérovingiens ne pouvaient se soustraire à l’obligation de les jouer tous les deux.


IV

Ils ont joué le personnage impérial. Ils habitent un palatium qu’ils appellent sacré. Ils ont un consistorium pour les assister dans