Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

course. » Clotaire épargna un des enfans, dont il était le parrain : les deux autres furent étranglés.

Ainsi la dépravation des Francs n’est pas de celles qu’un état puisse supporter longtemps. La corruption des mœurs n’amène pas nécessairement la ruine d’une puissance, et l’on voit durer des états où les gouvernans ne font à la vertu que l’hommage de leur hypocrisie, mais l’hypocrisie est une contrainte qui limite les débordemens ; les civilisations avancées ne tolèrent pas de certains crimes et l’immoralité n’y étouffe ni l’activité de l’esprit ni même les sentimens généreux. Les vices et les crimes des Mérovingiens tarissent les sources mêmes de l’existence, et ils n’ont point de compensation, car à cette immoralité correspond l’ineptie dans la vie politique et ces hommes sans mœurs sont aussi des hommes sans idées.


III

Un roi mérovingien, gouvernant la Gaule romaine, procédait à la fois du roi germanique et de l’empereur romain. Aussi est-il intéressant de rechercher quel est celui des deux personnages auquel il doit le plus. Cette recherche a produit la querelle des romanistes et des germanistes : les premiers tiennent pour la victoire de l’esprit romain, les seconds pour la victoire de l’esprit germanique, mais il faut prendre garde de simplifier ainsi les choses, car les choses ne sont jamais simples. Quand on a discerné, dans les documens ou les faits de l’histoire mérovingienne, tels ou tels élémens romains ou germaniques, on n’est pas autorisé à dire : Ceci est romain, cela est germanique, et le mélange a produit la société mérovingienne. Une pareille méthode oublie quelque chose, qui est l’histoire, c’est-à-dire une rencontre de faits et de circonstances qui produisent le nouveau. Cette réserve faite, il est certain que Clovis et ses fils, très confusément, sans en avoir délibéré, par la fatalité des circonstances, ont suivi tantôt les sentimens et les habitudes germaniques, tantôt les erremens du pouvoir impérial.

La royauté germanique n’était pas faible au point de n’avoir pas d’avenir. Sans doute, le peuple faisait les affaires ordinaires au village ou dans la centenie et les grandes affaires dans le concilium ; le roi ne commandait à la guerre qu’après que le peuple l’avait décidée ; il ne faisait exécuter le jugement qu’après que le peuple l’avait prononcé ; mais un personnage unique est toujours considérable dans un état simple, où l’on n’a point l’idée des sinécures et dont la constitution toute primitive ne prévoit pas tous les besoins. Les Germains n’étaient point des sauvages ; ils avaient un droit qui réglait les relations des hommes entre eux : l’observance