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saluent en Clovis la résurrection de David et de Constantin, achèvent de transformer le chef barbare, Les relations des Germains entre eux et avec le roi sont modifiées profondément. Pour employer une expression de la tangue familière, on ne sait plus chez les Francs comment on vit. Aussi ne faut-il pas attendre d’eux l’énergie d’un peuple simple qui sait ce qu’il veut et fait ce qu’il est capable de faire.

Comme les Arabes, les francs furent placés en face d’une civilisation supérieure ; mais les civilisations hellénique et persane que les Arabes trouvèrent en Asie étaient plus vivantes et plus capables de fécondité que n’était la civilisation romaine dans la Gaule mise en désordre depuis trois siècles par les guerres civiles, les révoltes des paysans et l’invasion. La vie intellectuelle achève de s’éteindre ; les écrivains exécutent les dernières parodies de la littérature classique ; la langue corrompue va se briser en dialectes ; la philosophie n’a plus d’idées ; la législation n’est plus qu’une codification ; l’art ne sait plus qu’altérer les formes de la beauté antique : il n’est plus même capable de renouveler les modes des derniers temps de l’empire, qui persisteront plusieurs siècles. Les institutions et la plupart des cadres de la vie politique ont été emportés. Au commencement du Ve siècle, Honorius pouvait encore convoquer dans Arles l’assemblée des sept provinces ; Sidoine Apollinaire et ses amis poursuivaient à Rome un gouverneur infidèle et obtenaient sa condamnation ; ils connaissaient des cités, des provinces, des diocèses, des préfectures, et, en haut de la hiérarchie, l’empereur, qui était la loi vivante. Au VIe siècle, il n’y a plus d’assemblées, plus de gouverneurs, plus de vicaires, plus de préfets, et la loi vivante est morte. De même que les Francs ne sont plus de vrais Germains, les Romains ne sont plus de vrais Romains : ils ne vivent plus dans l’atmosphère de la vie antique. Ils sont donc incapables d’initier les barbares à la civilisation romaine.

Enfin la grande histoire des Francs commence le jour même du baptême de Clovis ; mais cette conversion, qui est une nouvelle rupture avec le passé, ne peut être tout de suite bienfaisante. Sans doute, les migrations, les guerres, l’habitude des violences et du brigandage, l’éloignement des lieux où les sources, les bois et les arbres étaient sacrés et où les rites du culte s’accomplissaient dans un milieu traditionnel, l’admiration pour la richesse et la prospérité des chrétiens, l’idée que le dieu de Rome devait être un puissant dieu, préparèrent les Germains à recevoir le christianisme. Ils n’étaient pas incapables d’ailleurs de comprendre la sublimité des conceptions chrétiennes, car ils avaient des dieux qui avaient vécu parmi les hommes comme le Christ ; ils savaient que la terre est entre le jour et la nuit et qu’il existe quelque chose