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Les Francs n’ont pas même eu l’idée de chercher un système de gouvernement applicable à tout leur empire. En Gaule, la population avait l’habitude et le besoin d’être gouvernée, et il subsistait quelques cadres administratifs : ils ont fait administrer le pays par leurs comtes et leurs évêques. En Germanie, ils se sont approprié le trésor des rois et leurs biens, qui devaient être considérables ; ils ont pris le commandement militaire du peuple et ils ont peut-être trouvé le moyen de se procurer la perception des revenus de justice, qui étaient, avec les revenus de leurs propriétés, toute la richesse des princes barbares ; mais l’on ne voit point qu’aucun gouverneur, aucun officier ait été envoyé par eux au-delà du Rhin. Les pays germaniques ont été rattachés à l’empire franc par une sorte d’union personnelle : c’était donc un empire disparate et très difficile à garder pour un peuple qui n’était ni groupé sur un territoire où il aurait pu garder son caractère et sa force originelle, ni représenté dans toutes les provinces sur lesquelles il exerçait une sorte d’hégémonie.

Comme ils ne sont pas des conquérans, les Francs ne forment point une caste privilégiée. S’ils estiment leur vie plus haut que celle d’un Romain dans leurs tarifs du wergeld, ce n’est là qu’une manifestation naïve de l’estime de soi-même. Ils sont rebelles à l’impôt, mais c’est l’effet d’un ressouvenir de la vie barbare, d’un sentiment de fierté juvénile et aussi de l’incapacité de comprendre les nécessités de la vie publique. Du reste, ils n’ont aucun préjugé contre les Romains ; ils ne les excluent ni des honneurs de l’état, ni des honneurs de l’église. Ils leur laissent leurs grands domaines, leurs titres et cette noblesse dent les familles sénatoriales gardent précieusement la tradition. Ils ne commettent, au moins par mesures générales, aucune de ces violences qui divisent une population en deux camps. La langue des Romains est leur langue officielle ; la religion des Romains a été adoptée par eux : entre eux et les Romains il n’y a pas lieu à des luttes prolongées comme celles où les patriciens et les plébéiens ont aiguise leurs courages et leurs esprits par un effort continu dont la fin a été la formation de cette cité qui est devenue la maîtresse du monde.

Quand les Arabes et les Saxons entreprirent leurs complètes, rien n’avait altéré leurs mœurs : ils étaient des Arabes et des Saxons. Les Francs ; lorsqu’ils s’établissent en Gaule, ne sont plus de vrais Germains. Au nord et à l’est, on trouve encore le peuple vivant et faisant ses affaires dans le village et la centenie, mais après que Clovis a mis dans Paris « la chaire du royaume, » ces communautés de paysans ne comptent plus dans la vie générale, qui est tout entière où est le roi avec son personnel politique moitié franc et moitié romain. L’opinion des Romains sur le pouvoir royal qu’ils se représentent comme l’image du pouvoir impérial, celle des évêques qui