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leurs visages embellis pour l’occasion de plaques blanches, ou rouges, ou noires. Ils ont le haut du corps nu, la taille prise dans une ceinture de calicot de couleurs voyantes, ou d’une étoffe faite de l’écorce d’un arbre, que quelques-uns remplacent par des libres noires d’une certaine racine. Leur chevelure jaune est parée de fleurs ou de plumes. Quelques jeunes élégans portent des agrafes noires et, autour du cou on en bandoulière, des guirlandes de fleurs, La tenue pleine de dignité des rokos, les manières polies, mais non obséquieuses de leurs suites, donnent à la compagnie un caractère de noblesse et font oublier que c’est une assemblée de sauvages.

En Europe, ce serait une représentation de gala, avec cette différence qu’ici le corps du ballet se compose, à peu d’exceptions près, de dames de qualité. Un profond silence règne dans ce parterre de roitelets médiatisés, de chefs de tribus transformés en préfets, de courtisans auxquels la clé de chambellan siérait à merveille, si on pouvait l’attacher à leur peau lisse et saturée d’huile de coco. De temps à autre, les maliès partent de leurs rangs, et chose digne d’être citée, ces bravos éclatent toujours à des momens où les habitués de l’Opéra, les fins connaisseurs en l’art de Terpsichore, prodigueraient leurs applaudissemens.

Au fond, derrière les danseuses, il y a le décor : une toile verte, ou plutôt un gazon touffu, émaillé de beaux arbres, jeté sur la pente rapide d’un mamelon, dont le sommet porte les maisons, invisibles d’ici, de la mission. Un chemin excessivement raide, moitié sentier, moitié escalier, vous y mène. Au pied de cette hauteur, derrière les danseuses, une demi-douzaine d’Européens occupent une estrade qu’une marquise protège contre le soleil. Ce sont les missionnaires et leurs femmes. L’église, une sorte de grange, percée d’ouvertures ogivales à droite, des maisons d’indigènes à gauche, forment coulisses, l’herbe du gazon est le tapis étendu sur la scène ! Le ciel nacré de perles, tient lieu de voûte, et le soleil qui descend vers l’horizon remplace le lustre et la lumière électrique.

Les ballerines, au nombre de cinquante, face au public, et rangées sur une seule ligue, dansent en s’accompagnant d’un chant monotone. Leurs mouvemens se règlent sur le bruit de baguettes agitées par quelques hommes qui forment l’orchestre. Au fait, ce n’est pas une danse ; c’est une série de poses qui varie sans cesse, et rien n’égale la précision d’automate avec laquelle ces dames passent d’une altitude à une autre. Elles avancent et reculent d’un ou de deux pas, s’inclinent, se redressent, tournent à droite, tournent à gauche, élèvent leurs bras vers le ciel, les étendent horizontalement, les ramènent sur la poitrine. Les gestes sont toujours convenables, jamais grotesques, souvent gracieux ; les poses pleines de