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qui, lui aussi, s’était plu à décrire longuement les jeux institués par Achille aux funérailles de Patrocle. La plus grande partie du morceau de Virgile est copiée de l’Iliade ; mais là, comme ailleurs, il sait garder, même dans les traductions les plus exactes, une allure indépendante ; il s’assimile ce qu’il reproduit, et, malgré l’empire que son grand prédécesseur exerce sur lui, il conserve la disposition de son génie propre. Il y a d’ailleurs deux de ces tableaux qui lui appartiennent tout à fait. D’abord il a remplacé la course des chars par celle des navires. On voit sans peine ce qui lui a donné l’idée de ce changement : les Troyens, qui naviguent depuis sept ans, ne doivent pas avoir beaucoup de chevaux à leur service, et, dans tous les cas, ils n’ont pas eu l’occasion de s’exercer à les conduire ; comme ils ne se sont guère appliqués qu’à la direction de leurs vaisseaux, c’est dans ce genre d’exercice qu’il était naturel de les faire lutter entre eux. Les courses de char étaient un lieu-commun dont la poésie grecque avait abusé ; on avait plus rarement dépeint les courses de vaisseaux, et elles pouvaient fournir quelques descriptions nouvelles. L’autre spectacle que Virgile n’a pas emprunté à Homère est celui qu’on appelait le jeu troyen (Indus Trojanus), sorte de carrousel où la jeunesse se livrait à des luttes d’adresse et de force et auquel on attribuait une antiquité très vénérable. Par elles-mêmes, ces évolutions des jeunes gens sous les yeux de leurs pères avaient quelque chose de touchant et de gracieux qui devait plaire à Virgile ; il savait, de plus, qu’en les décrivant il entrait dans les desseins d’Auguste, qui les remit en honneur, sans doute pour y faire briller ses petits-fils et montrer au peuple, au milieu de pompes antiques, les maîtres futurs de l’empire. Le poète est ici fidèle à son système ordinaire, qui consiste à rapprocher le présent du passé et à redonner la vie à ces vieilles histoires en les animant des pussions de son temps.

Je ne veux pas analyser ces récits, qui n’auraient pas pour nous le même intérêt que pour les contemporains de Virgile. Qu’il me suffise de dire qu’ici, comme partout, le poète a décrit exactement les lieux où se pusse son drame. Du bain de l’Eryx, ou peut remettre à leur place les divers jeux par lesquels Énée honore la mémoire de son père et s’en donner le spectacle. Voici d’abord la course des vaisseaux, par laquelle la fête commence. Le point d’où ils partent n’est pas indiqué ; c’est sans doute quelque mouillage dans les environs du port de Drepanum, où ils se sont réfugiés pendant le mauvais temps. Mais, en revanche, on désigne très clairement l’endroit vers lequel ils doivent se diriger. « Au milieu des flots, vis-à-vis de la rive écumante, se dresse un rocher que les vagues furieuses battent et recouvrent quand les tempêtes de