Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/773

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du consulat anglais, récemment établi à Levuka. Mais les guerres continuaient et le prestige du roi pâlissait. Suivant alors les conseils de ses amis blancs, il tâcha de conjurer les dangers qui l’entouraient en dotant ses sujets d’une constitution semblable à celle que les missionnaires américains ont introduite aux iles Sandwich. Mais il paraît que les bons Fijiens n’étaient pas encore mûrs pour ces bienfaits. La situation du roi empirait de plus en plus et devenait, à la fin, décidément intenable. Une seule issue lui restait : céder son royaume à la couronne d’Angleterre (1874I). Dans les dernières années de son règne, il avait pour principaux conseillers sa fille, la princesse Andiquilla, et un résident anglais. M. Thurston avait quitté l’Angleterre fort jeune, s’était, comme tant d’autres, rendu en Australie pour chercher fortune, avait ensuite navigué dans les mers de l’Océanie et acquis une parfaite connaissance des langues et des mœurs des insulaires, chose fort rare à cette époque. Lorsqu’un consulat anglais fut établi pour les îles de Fiji, le gouvernement l’y attacha comme chancelier, le nomma bientôt après vice-consul et, enfin, consul. Il sut se rendre indispensable à Takumbau, dont il devint le premier ministre (après avoir renoncé à son consulat) et le principal intermédiaire avec sir Hercules Robinson, le haut commissaire britannique lors des négociations qui aboutirent à l’annexion. Aujourd’hui il occupe le poste élevé de secrétaire colonial pour les Fiji.

Depuis son abdication, Takumbau a vécu retiré au sein de sa nombreuse famille, dans son ancienne capitale de Mbao, sans susciter aucun embarras aux autorités anglaises et leur faisant même quelquefois parvenir d’utiles conseils. Le roi tyran et parricide, l’ancien anthropophage a emporté dans la tombe (1882) les regrets de ses tribus et la considération sympathique des nouveaux maîtres de son royaume.


A peu de distance de l’Espiègle se dessinent les gracieux contours du Dart, yacht de la marine de guerre, capitaine Moor. Depuis cinq ans cet officier est occupé à lever des cartes marines dans cette partie du Pacifique. Quelques grands bâtimens, des voiliers anglais et allemands sont à l’ancre dans le port, ou plutôt dans la lagune, vaste nappe d’eau séparée de l’océan par des récifs de corail, le boulevard naturel des terres, l’épouvantail du navigateur. Cette muraille sous-marine, construite par des insectes microscopiques, dépasse rarement le niveau de la mer ; elle s’impose à la vue par la ligne blanche des brisans, à l’oreille par le bruit sourd du ressac, cette musique incessante qui varie de mesure et change de gamme selon la disposition des élémens. Au-delà de la ceinture