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notables, renouveler le sang, il faut lever l’interdiction absolue de l’immigration, il faut admettre un certain nombre d’étrangers. Mais comment faire le choix ? Et, la porte une fois ouverte, sera-t-il possible de la fermer aux vagabonds, aux aventuriers, au flot des Australiens, qui ne tarderont pas à se mettre en possession de l’île et à nous en évincer ? »

Ces difficultés sautent aux yeux. Évidemment la population manque d’énergie et, chose étrange, les blancs qui ont le moins de sang tahitien dans les veines et ceux, très peu nombreux, qui n’en ont pas du tout, sont les membres les plus efféminés et les plus dégénérés de la communauté, On se contente de peu, et la nature prodigue ses trésors. Pourquoi travailler ? Aussi, presque tout ce qu’on voit ici en matière de constructions, de routes, de plantations, date du temps du pénitencier et est l’œuvre des déportés. Les hommes de Pitcairn ont peu fait et peu conservé.

On cultive, comme je l’ai déjà noté dans ce journal, une très petite portion du terrain de l’île, qui pourrait produire presque tous les fruits et légumes des zones tempérées et quelques-uns des tropiques. Les pâturages nourrissent un nombre comparativement restreint[1] de bestiaux. Les animaux aussi, faute de soins, dégénèrent. La pêche de la baleine occupe une petite partie de la population mâle.

Les relations avec le dehors sont irrégulières et très rares. De temps à autre des baleiniers, pour la plupart américains, se chargent de la malle. Parfois, pendant trois, quatre, cinq mois, soit faute de bâtiments, soit par suite du mauvais état de la mer, toute communication avec le dehors est interrompue. C’est alors que des articles de première nécessité, comme farine, sucre, café, thé, commencent à faire défaut. Avec un peu d’initiative et d’énergie, on pourrait au moyen d’un cutter établir un service postal avec la Nouvelle-Calédonie, y vendre avec profit les produits de l’île, et se pourvoir en temps utile des provisions indispensables. Mais rien ne secoue la léthargie de ces insulaires.

Sur la question de la moralité publique, les avis sont partagés. Je n’ai en ni le temps ni les moyens de l’approfondir. Il parait cependant certain que l’ivrognerie est presque inconnue, peut-être parce qu’il est difficile de se procurer des spiritueux.

Ce qui frappe l’étranger, c’est la politesse innée et le maintien plein de dignité naturelle qui distinguent les habitans ; ils tiennent cela, me dit-on, de leurs grand’mères polynésiennes et non pas des matelots du Bounty. « Comment ne pas aimer ces braves gens ?

  1. 2,000 moutons, 1,350 têtes de gros bétail et 270 chevaux.