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En vertu d’une constitution que le gouvernement anglais lui a octroyée, elle jouit, sauf certaines restrictions, d’une parfaite autonomie[1]. Mais la charte de donation contient une clause curieuse en ce sens qu’elle est contraire à tous les principes de la colonisation moderne, surtout à ceux de la politique coloniale anglaise, lui assurant aux habitans de l’île de Norfolk l’usufruit exclusif de ce territoire, elle les isole du reste du monde. Ils avaient insisté sur ce point et ils l’ont obtenu. Aucun étranger ne peut s’établir dans leur île, rendue ainsi inaccessible par la loi autant que par la nature. Une seule exception a été faite en faveur de la mission mélanésienne, où sont élevés environ 150 enfans recueillis dans différens groupes de la Mélanésie. Cet établissement, qui se trouvait à Aukland, a été transféré ici, les jeunes sauvages nés dans les régions équatoriales étant hors d’état de supporter le climat comparativement rude de la Nouvelle-Zélande. On me dit qu’il est dirigé admirablement par l’évêque anglican, docteur Selvine, malheureusement absent en ce moment. La mission est placée au centre de l’île et sans aucun contact avec les habitans.

Maintenant quel est le résultat de cette séquestration volontaire ? Nous allons le voir de nos yeux.

Ce n’est pas sans un mouvement de vive curiosité que, pilotés par le magistrat, M. Francis Nobbs, qui est venu à bord, le capitaine Bridge et moi, nous quittons l’Espiègle, traversons sans trop de difficulté la barre et débarquons sains et saufs au milieu du concours des habitans, très friands de voir des étrangers. Nous flânons sur des chemins raboteux entre des potagers et des maisonnettes

  1. Le gouverneur qui réside à Sydney est tenu de visiter Norfolk-Island une fois pendant la durée de ses fonctions de Gouverneur de la Nouvelle-Galles. Une assemblée populaire, où siège tout individu mâle qui a dépassé l’âge de vingt-cinq ans, se réunit quatre fois par an. Les projets de loi qu’elle vote doivent être soumis à la sanction du gouvernement. Le président de l’assemblée, élu pour la durée d’un an, est en même temps magistrat, administrateur et jupe de première instance. Dans les cas, fort rares, de délits graves, le magistral intervient comme juge d’instruction. Les dépositions des témoins sont envoyées au gouverneur, qui nomme une cour ad hoc. La seule infraction aux lois, et elle est assez fréquente, c’est la chasse en temps prohibé. Le coupable paie une amende de 5 shillings et n’a garde de se laisser attraper une seconde fois. Il n’y a pas d’impôts, sauf une petite souscription obligatoire de 15 shillings par famille, donnant par an 58 livres sterling. Celle somme est employée à payer le médecin de la communauté, dont les gages s’élèvent à 150 livres. Le surplus est fourni par le Island Fond, alimenté par la rente, très peu considérable, des terrains de l’état et par de petites redevances, résultats des transactions avec les baleiniers qui, parfois, relache ici pour faire de l’eau et acheter des provisions. Les principaux besoins de la communauté se réduisent à la conservation des routes, de l’église et de l’école. On y pourvoit pur des corvées, chaque homme, sans exception, étant tenu à travailler pendant trois jours et demi tous les six mois. Rien de plus simple ni de plus patriarcal.