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Le temple, situé au sommet de la montagne, s’apercevait de loin comme un phare. J’imagine que le pilote ou le capitaine qui venait de faire un long voyage, plein de fatigues et de périls, sentait son cœur battre de joie quand il voyait, en arrivant d’Italie ou d’Afrique, apparaître à l’horizon ce lien de délices où il allait un moment oublier ses peines, et que, quand il partait de Drepanum il, devait tenir longtemps les yeux fixés sur la montagne qui lui rappelait de si agréables souvenirs. Du reste, les gens de cette sorte n’étaient pas les seuls qui venaient honorer Vénus Érycine dans son sanctuaire : on y voyait quelquefois des visiteurs plus importans. Diodore nous dit que les magistrats les plus considérables du peuple romain, les consuls, les préteurs, quand leurs fonctions les amenaient de ce côté, montaient au temple d’Eryx. Il ajoute qu’on leur savait gré d’oublier un moment leur gravité et de rendre hommage à la déesse en se prêtant aux plaisanteries et aux jeux des femmes qui la servaient. C’était pour eux une manière aisée de faire leurs dévotions[1].

Aujourd’hui le plateau de l’Eryx est désert : le temple de Vénus, la demeure des hiérodules, tous ces édifices consacrés au plaisir ont disparu. Le silence s’est fait dans ces lieux où longtemps ont retenti des chants de fête. Ce qui leur reste, c’est l’admirable rue dont on jouit du haut de la montagne, cette série de plaines et de collines riantes qui s’étagent jusqu’au-delà du cap Saint-Vit, cette immense étendue de mer qui se déroule devant nous jusqu’aux côtes de l’Afrique. Mais ne portons pas nos regards si loin ; contentons-nous d’un horizon plus étroit. Nous devons nous borner à tenir nos yeux fixés sur cette petite bande de terre qui s’étend à nos pieds entre la montagne et la mer. C’est elle que Virgile a choisie pour y mettre la scène de son cinquième livre. Des hauteurs où nous sommes, nous allons en suivre sans peine les divers incidens.

Ou a vu plus haut que ce qui détermine Enée à s’arrêter pour la seconde fois en Sicile, c’est l’occasion qui s’offre à lui de visiter la tombe d’Anchise et de lui rendre de nouveaux honneurs. A peine débarqué, il rassemble ses soldats, et du haut d’un tertre, comme un empereur, il leur tient une de ces harangues solennelles qui plaisaient tant à la gravité romaine :


Dardanidæ magni, genus alto a sanguine divum, etc.


Il leur annonce, dans ce discours, la série des fêtes qu’il prépare

  1. Les femmes d’Eryx paient pour être les plus belles de toute la Sicile : c’est tout ce qui reste à ce pays de la protection de Vénus. Elles avaient déjà cette réputation au moyen âge. Le voyageur arabe Ben-Djobaïr, qui le constate, ajoute : « Que Dieu les fasse captives des musulmans ! »